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Pour une lecture possible du roman’ ’Passe...
28 juin 2022, par Ben Arfa

Le clivage discours VS récit, la généricité textuelle multiple et la tension dramatique dans le roman ‘’Passe l’Intrus’’, de Béchir Garbouj.

Par : Abdelaziz BEN ARFA

Pour une lecture possible du roman’ ’Passe l’intrus’’, de Béchir Garbouj.

‘’Passe l’intrus ‘’est un roman paru à Tunis, aux éditions Déméter en 2016. Il a obtenu le prix Comar d’or, en 2017. Il compte 181 pages. Il traite de plusieurs thèmes : de la révolution culturelle parisienne de 1968, de l’amour des femmes, de l’argent, de l’amitié, du voyage etc.
Mais, j’ai choisi d’interroger ce roman à partir de trois angles d’attaque qui ont trait plutôt à la forme de celui-ci :
D’abord, je traiterai la composante énonciative qui concerne :
Le clivage discours/récit.
Ensuite, je donnerai un aperçu succinct sur
La multiplicité générique de ce texte : roman autobiographique, ou roman d’apprentissage etc.
Enfin, je focalise, principalement et essentiellement, mon intervention sur :
La tension romanesque, sur ce conflit amoureux latent, presque invisible. C’est que l’on lit, en filigrane, à travers les couches textuelles profondes, que les trois amis, ‘’l’étudiant étranger’’, son cousin, ‘’Moncef’’, son ami, ‘’Miguel’’, tous les trois aiment ’’Véra’’(ou Françoise). Mais, ils ne se l’avouent pas. Cet aspect dissimulé crée une tension romanesque qui constitue, peut-être, le génotexte, ceci si la lecture ne glisse pas sur le phénotexte mais creuse celui-ci et s’aventure en allant plus loin que les bornes lumineuses et en explorant les zones brumeuses.

I- la composante énonciative :
-1-le clivage Discours/ récit.

Pour être efficace, rentable et clairvoyante, la lecture de ce texte doit, prioritairement, faire ressortir nettement le clivage discours VS récit : un professeur âgé d’une cinquantaine d’années, habite, actuellement, dans le contexte énonciatif présent, son appartement qu’entoure un petit jardin. Il est dans sa chambre en train d’écrire. Il est seul. Il entretient un rapport affectif avec son chat nommé ‘’Fred’’ : il sent l’absence de celui-ci et accorde une attention à sa présence. Il a un fils qui a une vocation pour l’art pictural. Ce vieux professeur aime se promener sous la pluie. Il a une sœur mariée à laquelle il rend visite. Il va au souk hebdomadaire pour acheter chez un bouquiniste des vieux livres d’occasion. Il lui arrive de rencontrer une femme et de faire une connaissance avec elle, en espérant qu’une relation se noue avec celle-ci et se prolonge.

Mais, ce ‘’vieux professeur’’, cet énonciateur qui décrit sa situation présente est hanté par son passé, par ses années parisiennes lorsqu’ il était étudiant à la Sorbonne. Cet énonciateur du discours présent se mue en un narrateur qui conduit un récit qui rapporte des faits passés :
-2-énonciateur d’un discours dans un contexte présent VS un actant d’un récit des faits passés :
L’énonciateur, dans le contexte présent, est un vieux professeur, âgé d’une cinquantaine, tandis que l’actant du récit est un étudiant étranger, âgé d’une vingtaine d’années, environ. Le contexte présent de l’énonciateur se situe à Tunis. L’étudiant étranger, actant du récit, vit ses aventures existentielles, cognitives, épistémologiques, événementielles et amoureuses à Paris.
Ce récit des faits passés décrit les sauts et les soubresauts qu’avait connus un ‘’étudiant étranger’’ (=il n’est pas nommé). Celui-ci est l’actant principal du récit. Il subit et agit : il avait d’abord participé activement à la révolution culturelle de 1968 qui avait secoué profondément Paris, voire la France, toute entière. Il avait connu des femmes de tout acabit. Il avait souffert du manque d’argent. Il avait travaillé comme veilleur de nuit dans un hôtel pour obtenir de l’argent et rembourser les dettes qu’il contractait avec son cousin ’’Moncef ‘’. Il avait vécu pleinement la nuit des barricades. Il s’était joint à la manifestation du soutien pour le gouvernement du Général De Gaulle, celle-ci qu’avait dirigée le ministre et écrivain André Malraux. Lors d’une assemblée générale tenue dans l’amphithéâtre de l’université, il avait pris la parole et avait dénoncé la politique occidentale à deux poids de mesure : il avait défendu la cause palestinienne. Il avait soulevé les problèmes politiques que vivait le Moyen-Orient. Il avait rendu visite à Paul-Emile, le dirigeant invisible de la révolution. Il avait rencontré des femmes, une prostituée de nuit, Marie-Claire. Il avait aidé son cousin, ‘’Moncef’’ à nouer une relation amoureuse avec ‘’Véra’’ (=Françoise ‘’) qui deviendrait l’épouse de celui-ci. Il avait décrit la relation amoureuse provisoire qui s’était nouée entre son ami ’’Miguel’’ et sa voisine ‘’ Véra ‘’ (=’’Françoise’’). Mais l’axe principal du récit est focalisé, essentiellement, sur la relation amoureuse compliquée entre cet actant principal ’’l’étudiant étranger’’ et cette icône de la révolution ’’Nadine’’.

Le récit de ces faits n’est pas rapporté d’une façon linéaire : le narrateur entretient un rapport compliqué avec sa mémoire. Il garde de son passé des photos soigneusement insérées dans des enveloppes. Il consulte ce genre de document pour aider sa mémoire à se souvenir des faits passés, à brosser les portraits des personnages qu’il avait fréquentés. La linéarité du récit est constamment rompue par le discours qui est focalisé sur le contexte énonciatif présent. Si bien que l’on puisse dire que Discours et Récit s’alternent. Et, c’est ce qui dynamise le romanesque et procure à celui-ci une tension dramatique.

Il se souvient de ses années parisiennes du temps qu’il était étudiant à la Sorbonne. Il est obsédé par un grand amour qu’il avait voué à un leadership, une femme nommée ‘’Nadine’’. Ce ‘’ discours’’ qu’énonce actuellement ce professeur-narrateur est à distinguer du ‘’récit ‘’qui rapporte les différents faits qui s’étaient déroulés, il y avait de cela environ trois décades. Le récit des faits rapportés retrace le parcours d’un étudiant tunisien que l’on avait dépêché à Paris, pour poursuivre ses études en France. Mais dès son arrivée, la révolution culturelle de l’année 1968 s’était déclenchée. Il s’était joint à un groupe d’étudiants supervisé par une femme nommée ‘’Nadine ‘’, membre du comité qui dirige la révolution.
-2-un vieux professeur, âgé d’une cinquantaine d’années, énonciateur du discours dans le temps présent vs un étudiant étranger, d’une vingtaine d’années, actant principal du récit qui rapporte des faits passés.
…….

II-la généricité textuelle multiple du roman ’’Passe l’intrus’’ :

Ce roman est déroutant : à quel genre romanesque appartient-il ? Quand on lit la trame événementielle qu’il déploie, l’on constate que le narrateur travaille sur une matière autobiographique. Ces faits qu’il nous rapporte, c’est son propre vécu personnel qu’il ordonne en récit.

-1-S’agit-il d’une autobiographie ? Ou s’agit-il plutôt d’une autobiographie romancée ?

Même si la matière narrative est autobiographique, ce roman ne relate pas le vécu d’une vie qui commence par la naissance et s’achève par la mort. Ici, il existe un clivage diégétique : l’énonciateur, dans le contexte actuel, présent, diffère de l’actant que le récit se charge de narrer son parcours. Ce clivage diégétique vise à différencier entre deux niveaux qu’il distingue soigneusement : d’une part, il y a le niveau énonciatif qui se charge de tenir des propos sur le contexte présent actuel et d’autre part, il y a le niveau narratif qui rapporte le récit des faits passés. Ce sont deux niveaux à ne pas confondre, si la lecture voulait élucider les couches textuelles qui constituent la trame narrative de ce roman’’ Passe l’intrus’’.

Ici, aussi, l’on a affaire à un fragment réduit, ou un segment temporel limité qui concerne un contexte historique, politique, événementiel et culturel qui a duré quelque mois. L’on a affaire aussi, encore, à un actant diégétique que son âge, la vingtaine et sa fonction, étudiant à la Sorbonne. Le roman ne rapporte pas d’une façon systématique, comme c’est le cas dans une autobiographie, ce qui s’était passé avant et ce qui s’était advenu après, en ordonnant les faits dans une chronologie linéaire qui va du début jusqu’à la fin. Ces faits qui concernent une période courte de quelques mois comportent des épisodes qui sont narrés plusieurs fois et réitérés, comme s’il s’agissait d’une obsession qui hantait la mémoire, le faisait souffrir : ce qui est mis en exergue, c’est cet amour qu’avait voué un étudiant pour une femme mais que celui-ci n’avait pas abouti. Si bien que l’on pourrait considérer que l’évènementiel amoureux est la thématique principale de ce roman. Pourquoi cet amour avait-il échoué ? Est-ce parce que cet étudiant, bien qu’il soit âgé de vingt ans, était encore psychologiquement immature, un enfant innocent. Il est donc dans un état d’apprentissage.

-2-Ce roman est-il un roman d’apprentissage ?
L’actant, l’étudiant étranger, était dépêché à Paris pour poursuivre ses études à la Sorbonne. Mais, dès que ses pieds avaient foulé le territoire français, il était surpris par les modes de vie chez ces gens civilisés, progressistes, démocrates et athées, modernes et supérieurs qui l’accueillaient chez eux. Il était venu apprendre une autre langue différente de sa langue maternelle, l’arabe. Sa compagne, ‘’Nadine’’ corrigeait sa prononciation : elle lui apprenait comment prononcer le mot’’ Jaune ‘’, à ne pas confondre le sens de certaines expressions’’ plumer quelqu’un ‘’ voulait dire ceci et non pas cela.

« Il tenait, disait-il, d’apprendre cette ‘’langue compliquée’’, le français, et ‘’Nadine’’ souriait entre deux bouchées en lui répondant qu’il avait d’abord besoin d’allonger les o, dans des mots comme ‘’jaune’’.
- N’oublie pas, non plus, qu’on dit : plumer quelqu’un et non pas déplumer… »
(Page 22, chapitre II).

Quand il ne réussissait pas ses rapports avec les français, il se réfugiait chez ses compatriotes : il allait dans un café fréquenté par des gens de son pays d’origine.
Quand la révolution s’était déclenchée, un ordre des choses s’était bouleversé, une rupture épistémologique s’était opérée : de nouvelles méthodes modernes d’approches des textes rompaient avec les anciennes explications et les commentaires classiques. Il s’initia à la duplicité qui caractérisait les conduites des individus qu’il fréquentait : il croyait connaître son cousin ‘’Moncef’’, mais, sous la soutane du moine, se dissimulait un individu rusé, madré, libidineux. Il croyait que le discours politique était transparent, il découvrit que celui-ci servait les intérêts des uns (les juifs) et se taisait quand il s’agissait de soutenir la cause palestinienne. Il enregistra que certaines filles rompaient avec leur passé de femmes vénales, légères et elles saisissaient l’occasion opportune pour prendre un époux : elles se mariaient, elles portaient, désormais, les habits neufs des saintes : tel était le cas de ‘’Véra’’ (=’’Françoise’’) qui avait abandonné ’’Miguel’’ pour épouser’’ ‘’Moncef’’. Il découvrit l’espace mondain, libéral, athée qui s’opposait à celui, religieux de sa famille arabe, tunisienne. car son père était un homme religieux sans que celui-ci soit fanatique. Dans sa famille arabe, la boisson alcoolisée n’avait jamais été introduite dans la maison.
« Non, c’est vrai, il n’a pas l’habitude des alcools forts, disait-il »
(Page 78, chapitre 8).

« …Musulmane, encore que sans excessive piété, mais le vin n’a jamais franchi le seuil de leur maison »
(Page 78, chapitre 8)
Mais, à Paris, il fut initié à ce genre de consommation : la soirée qu’il avait passé avec Marie- dans une taverne pour couple, ou encore, la fois où il avait amené ‘’Véra’’ (=’’Françoise’’) chez son cousin, Moncef qui les avait reçus dans sa maison et les avait festoyés :
« Véra n’a pas dit non au Sidi Brahim, un vin d’Algérie d’un rouge donnant sur le violet devant lequel l’enfant hésitait
( …)
Ils ont ouvert une nouvelle bouteille »
(Page 53, chapitre V)
Il importe d’ailleurs de noter que l’actant protagoniste, dans ce roman, est tantôt nommé ‘’l’étudiant étranger’’ et tantôt nommé’ ’l’enfant’’ pour suggérer que pour celui-ci il s’agit d’un parcours initiatique :
« Elle (il s’agit de ‘’Marie Claire’’) lui a demandé, sans sourire, s’il n’était pas puceau, et il (=il s’agit de l’enfant) a répondu’’ presque, presque’’ »
(Page 77, chapitre 8)

Il s’agit de ‘’l’étudiant étranger’’ : il est désigné dans ce passage et dans beaucoup d’autres par le terme ’’enfant’’. Donc, l’accent est mis sur l’expérience de l’altérité que vivait l’actant protagoniste : ‘’enfant’’ qui s’initie à l’âge adulte, et ‘’ étranger ‘’ qui explore l’espace autre de l’autre.

III- La dramatisation dans ‘’Passe l’Intrus’’ :

L’amour est une thématique dominante dans ce roman. Mais celui-ci dramatise cette thématique en l’inscrivant dans un contexte conflictuel qui dynamise la structure générative. La lecture ne doit pas, donc, se contenter d’adopter une démarche linéaire, syntagmatique, ne s’intéressant qu’à la concaténation des faits qui se déroulaient ; elle doit combiner celle-ci avec l’approche tabulaire, paradigmatique qui creuse les couches profondes du texte. Il s’agit de découvrir ce foyer matriciel qui provoque la dynamique romanesque : en effet, ce roman comporte une sorte de triade conflictuelle à trois pôles qui engendrent la dramatisation romanesque. Celle-ci n’apparait pas directement à la surface phénoménale de la couche apparente du texte : c’est qu’il existe dans ce roman un conflit latent constitué de trois pôles : trois amis, ‘’l’étudiant étranger’’, son cousin ‘’Moncef’’ et son ami, ‘’Miguel’’, tous épris de la même femme : ‘’Véra’’ (= ‘’Françoise’’).
Toute la deuxième partie du chapitre IV=4 (‘’Passe I ’Intrus’’, pp. 42-46, chapitre 4)) est consacrée à ‘’Véra’’ : il s’agit de la première rencontre de l’étudiant étranger avec ‘’Véra’’ (=’’Françoise’’) :
« Deux heures du matin (…) Une voix féminine a répondu :’’Ouvrez, Ouvrez, s’il vous plait’’…la jeune femme habitait de l’autre côté, près des escaliers où il l’avait déjà rencontrée, une fois (…). Elle était assez petite, plutôt brune. Le visage, les yeux, il les connaissait pour l’avoir longtemps regardée, cette nuit où il montait derrière lui » (p.42)
Dans le chapitre V=5, ‘’l’étudiant étranger’’ rencontre son cousin ‘’Moncef’’ et lui parle de ‘Véra’’ (=’’Françoise’’) :
« L’étudiant a hésité avant de lui parler de la visiteuse de la nuit, de sa façon de rejeter la tête en arrière en fermant les yeux pour parler du beau-père. Il ne sait comment il lui est venu de ne pas raconter le reste de la nuit, mais ‘’Moncef’’ a tout de suite voulu savoir ‘’ce qui s’est passé ensuite ‘’, et l’enfant a dit que Véra avait surtout besoin de parler » (p. 52).
Or, ‘’L’étudiant étranger’’ avait caché la suite. Pour connaître la suite, le lecteur doit attendre les aveux révélés au chapitre XIV=14 : c’est la nuit pendant laquelle l’étudiant étranger était allé chez Véra. Ce passage nous livre deux informations importantes : D’abord, ‘’l’étudiant étranger’’ l’avait interrogée sur sa relation avec ‘’Miguel’’ ; Elle lui avait répondu que celui ne comptait plus pour elle. Ensuite, il avait couché avec elle, en la prenant de force :

« La chambre de Véra était la première, à gauche, lorsqu’elle s’engageait dans ce couloir en U, sous les combes (…) et Véra est venue l’ouvrir. Il a accepté la tasse de thé qu’elle lui proposait avant de lui demander comment elle avait fait pour connaître ‘’si vite’ ’Miguel, et ‘’Véra’’ est restée un moment à regarder, puis elle a dit que ‘’Miguel’’ n’avait aucune importance.
Et, moi, alors ?, a-t-il demandé.
- Pareil.
(…)
Il l’avait attrapée par la taille. Elle ne voulait pas, et lui voulait très fort. Elle résistait en silence. Le lit était étroit et l’enfant ne pouvait résister.il s’escrimait avec les boutons du chemisier, et elle ne faisait que le regarder en crispant ses muscles, mais peu à peu il s’était senti plus fort, il commençait à tirer sur un vêtement, lorsqu’elle a dit : ‘’attends, ce n’est pas la peine de tout déchirer ‘’. Elle s’est déshabillée, sans hâte, ni excessive colère, a-t-il trouvé, se laissant ensuite faire en regardant obstinément vers le mur » (p. 133).
Dans le chapitre V=5, page 52, Moncef doute de la version que son cousin, l’étudiant étranger lui a racontée :
« Le cousin était perplexe, il croyait et ne croyait pas à la version chaste de la ‘’visite’’, il ne serait pas loin de soupçonner le cousin de ’’perfidie’’ » (p.52)
Pour bien rendre compte de l’opacité des rapports assez compliqués entretenus entre ces trois garçons et cette fille, je cite ce passage qui, bien qu’il appartienne au registre descriptif, occupe un moment crucial dans la dramatisation du récit. Il s’agit d’une scène d’amour entre ‘’Véra’’ et ’’Miguel’’ que ‘’l’étudiant étranger’’ avait visionnée à travers une fenêtre, au premier étage du bâtiment de la faculté (cf. p. 86, début du chapitre 9) :
« Miguel avait de longs cheveux noirs et roux, et ‘’ Véra’’, ce jour-là, s’agrippait, se hissant sur la pointe des pieds. Le hâle du visage se voyait de loin, et les yeux brillaient dans la clarté du jour. L’étudiant étranger était, ce jour-là, au premier étage de Censier, et il les a vus depuis une fenêtre qui marchaient dans l’allée centrale de la faculté. C’était comme si les étudiants qui passaient par là avait été estompés pour que seul le couple pût rayonner au centre de l’image (…) et c’était Véra qui sortait de Censier, enlacée à ‘’Miguel’’ comme la line à son arbre, acharnée à l’atteindre, et quand elle avait cessé de l’enlacer, griffant, labourant le long parcours des vertèbres, le clair relief des muscles que redessinait indéfiniment le blanc T-shirt, tandis qu’ils marchaient au centre de l’allée, et que d’eux les étudiants s’écartaient, n’en finissaient pas de s’écarter. Si la photo avait été prise les deux formes scellées auraient figuré pour la postérité la majesté de l’amour au temps de la révolution » (p.86, début chapitre 9).
Le chapitre VI=6 (page 57) communique au lecteur cette information :
« Ils (= ‘’l’étudiant étranger’’ et ‘’Véra’’) venaient de tomber sur ‘’Miguel’’, et celui-ci a posé deux gros baisers sur les joues de ‘’Véra’’. ‘’C’est ta nouvelle Copine ?’’ . L’enfant a dit : ‘’Véra’’ est une excellente amie’’, mais elle a rectifié :’’Françoise’’.

On le voit, donc, les actants, les trois protagonistes désirent le même objet, une femme. Ils sont des amis, mais une rivalité latente, dissimulée et non avouée, les oppose.
Mais qui des trois protagonistes allait-il conquérir ‘’Véra ‘’ ?
‘’L’étudiant étranger’’ se posait la question, dans le chapitre XII=12 :
« Deux semaines, au moins, il ne revit Moncef, ni Véra. Peut-être s’étaient-ils déjà mis ensemble ? » (p. 117).
L’on obtient la réponse à cette question dans le début du chapitre IX=9, page 86 :

C’est ‘’Moncef’’ qui avait épousé ‘’Véra’’. Celle-ci :
‘’Lui a donné cinq enfants’’ (page 86).
Le protagoniste principal, ‘’l’étudiant étranger’’ qui quémandait l’amour et le cherchait partout en commençant par ‘’Nadine’’, principalement, en le quêtant chez’’ Véra’’ (=’’Françoise’’), chez ‘’Marie-Claire’’, chez ‘’l’étudiante’’ qui voudrait servir la cause de sa peuplade, les habitants de l’île de ‘’Corse’’ :
« Il est allé vers une fille au teint mat, les cheveux coupés court. Elle était jeune, se disait fière de ses racines corses »
(Page 69, chapitre 8)
Tous ses rapports avaient échoué. Il ne faisait, donc, que passer. D’où le titre de ce roman : ‘’Passe l’intrus ‘’. Le destin de cet amour avorté, le romancier l’avait inscrit dans un contexte révolutionnaire prometteur de jours meilleurs. Mais, cette révolution connaîtrait elle-même ses limites. Les aspirations à l’égalité et à l’amour n’avaient pas abouti à leur terme.

Conclusion

Ce roman a été honoré par le prix Comar d’or en 2017.
La thématique qu’il déploie est riche. L’espace parisien est arpenté de bout en bout par l’actant protagoniste, l’étudiant étranger. Les faits narrés sont inscrits dans un contexte historique et politique riche en transformation, celui de l’année 1968. C’est l’année de la fameuse révolution culturelle à Paris. Un étudiant étranger, d’enfant qu’il était s’initie à l’âge adulte, fait l’expérience de l’altérité. Dans son parcours initiatique, il est confronté à la problématique amoureuse qui se pose à lui en termes cruciaux et compliqués : ce roman traite cette problématique en lui conférant une tension conflictuelle et dramatique : c’est par cet aspect que ce roman vaut le plus. Le coup du génie du romancier réside aussi dans cette astuce technique dont il s’est servi pour distinguer soigneusement entre deux niveaux diégétiques en séparant le discours énonciatif présent proféré par le vieux professeur du récit qui rapporte les faits passés vécus par un actant, un protagoniste principal , tantôt désigné par l’expression ‘’L’étudiant étranger ‘’, tantôt par le terme ‘’enfant’’ car il s’agit bel et bien d’une expérience de l’altérité et d’un parcours initiatique qui fait passer l’enfant à l’âge adulte . C’est pourquoi la généricité de ce texte participe à la fois du roman autobiographique et du roman d’apprentissage.

Ce roman renferme d’autres originalités qui le singularisent et que je n’ai pas traitées ici : notamment sa foisonnante intertextualité. Une autre compétence plus qualifiée que moi, pourrait, peut-être, s’en occuper, un jour.

Par : Abdelaziz BEN ARFA

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