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Le président - Serge Raffy

Editions Fayard, Collection Pluriel, 2012

19 août 2012, par Alice Granger

Cette biographie de François Hollande, écrite par Serge Raffy, rédacteur en chef au Nouvel Observateur, se lit comme un passionnant roman politique. Contre toute prévision, celui qui avait annoncé très jeune à un ami qu’il serait président de la République l’est vraiment devenu. Même si, évidemment, on connaît la fin, ce livre titille notre intérêt, on se demande à quel moment quelque chose a basculé, qu’est-ce qui a fait que l’homme qui n’avait aucune chance, qui ne se mettait jamais en avant, soutenait toujours un autre candidat, soudain a décidé que c’était son tour, et, longtemps sous-estimé par les siens et la droite, est devenu le favori des sondages jusqu’à la victoire.

Sous la plume de Serge Raffy, c’est vraiment un personnage inhabituel dans le paysage politique qui se présente à nous, même si l’évocation de l’enfance et de ses ancêtres en fait un homme comme nous, avec ses joies, ses blessures, ses renoncements, ses armures. A la fois il commence son aventure politique directement au palais de l’Elysée, ce qui, après-coup, nous met la puce à l’oreille, et en même temps il reste dans l’ombre, très peu narcissique, mettant humblement ses compétences d’énarque et de diplômé de Sciences-Po au service du président ou ensuite d’un éventuel candidat, Delors ou Jospin. C’est-à-dire qu’il ne semble pas avoir d’ambition politique pour lui-même, mais il se place, tout de même, tout près de personnages qui sont aux plus hautes fonctions ou peuvent y accéder. Il se met à l’ombre de sortes de figures paternelles de pouvoir. D’emblée, au sortir de l’ENA, on lui reconnaît des compétences et peut-être un style qui lui ouvrent la porte du palais, et le voici très jeune tout près du président Mitterrand. C’est un jeune homme sorti du bon moule, certes, qui est bien formaté, solidement formé et entraîné, mais sans doute est-ce aussi un côté assidu, facile, agréable, bosseur acharné, bon élève obéissant, loyal envers les figures paternelles, qui l’a fait être remarqué. Jacques Attali l’introduit à l’Elysée. Et Ségolène Royal entre elle-aussi au palais portée par Hollande. Elle est à l’époque très silencieuse, l’idylle avec Hollande avait commencé avec un stage en banlieue sans doute, avant elle ne l’intéressait pas, elle n’était pas son style, une pimbêche un peu hautaine, une provinciale s’habillant comme une jeune fille sortie du couvent des Oiseaux. Très dissemblables.

On a envie de lire ce livre, à la recherche d’indices qui nous diraient en quoi François Hollande serait un homme politique d’un genre nouveau. Serge Raffy souligne son absence d’ego, ce qui n’est pas le cas de Ségolène qui semble le marquer dès les premiers pas, curieusement. Pourtant, on est forcé d’admettre qu’une incroyable ambition l’habite, extrêmement discrète, en embuscade, masquée par le fait qu’il laisse des prédécesseurs plus grands que lui y aller. Sa grande aptitude à oublier les coups donnés, les déceptions, prêt à travailler avec ceux qui lui ont fait du mal, ne signe-t-elle pas, outre le pragmatisme, un goût pour l’art de la guerre, cet art stipulant qu’après les affrontements il y a toujours l’apaisement, et qu’il ne faut jamais sous-estimer l’ennemi, qu’il soit de notre côté ou de l’autre. Cet oubli des coups, des paroles qui flinguent, qui humilient, des déceptions, est aussi une reconnaissance de l’ambition des autres, du choc de ces ambitions entre elles, de ces goûts du pouvoir. C’est en même temps laisser venir ces autres, adversaires ou faux-amis, afin de les évaluer à l’œuvre, sur le terrain impitoyable de la politique.

D’une certaine manière, le statut d’immigrés des ancêtres de François Hollande, qui ont fui il y a plus de deux siècles l’Inquisition qui en Hollande pourchassait les protestants, pour s’installer au nord de la France, est-il encore très sensible chez notre président, de sorte qu’être élu à ce poste suprême de responsabilité serait comme être accueilli dans un nouveau pays, auquel il devrait tout, puisqu’il lui devrait cette reconnaissance incroyable, mais qui l’aurait à l’œil, scrutant la moindre erreur, la plus petite hésitation. Un pays difficile, semé d’embûches, au temps de la crise planétaire, guetté de partout pour la moindre de ses décisions : le nouvel arrivé n’aura pas la vie facile !

Avoir pour président de la république française un homme qui s’appelle Hollande, c’est-à-dire le nom d’un autre pays, ce n’est pas banal ! Juste par son nom, il dit qu’il vient d’ailleurs ! Immigration politique. A la fois arrachement au pays d’avant, et renaissance dans le nouveau pays. Hollande magnifiant France. Comme un changement de vie. Un saut dépaysant dans un nouveau pays. Non seulement à découvrir, puisque le point de vue qu’a un président sur le pays doit sans doute être différent, mais peut-être à réinventer, sur fond de crise. Faire ses preuves, pour être accepté, reconnu.

Dans sa vie privée aussi, il change un beau jour de cap : il quitte sa première compagne, Ségolène Royal (qu’il ne soutient pas vraiment pour sa campagne présidentielle de 2007, comme s’il se sentait étranger à sa conception du pouvoir et à son style), pour la « femme de sa vie », Valérie Trierweiler : on dirait que ce saut dans une nouvelle vie personnelle, qu’il a osé accomplir en chamboulant sa vie de famille (son père l’avait fait autrefois, différemment), a été un prélude très important pour sa propre candidature à l’élection présidentielle de 2012. Comme s’il avait fallu une sorte d’admission du père dérangeant, du père qui fout en l’air le train-train familial. Osant cet acte violent, se séparer d’une compagne pour une autre femme, ne plus être l’assureur d’un cocon familial pour les enfants, on imagine que cela a précipité Hollande dans des remous un peu comparables à ceux rencontrés par ses ancêtres partis de Hollande, forcés de commencer une nouvelle vie car l’ancienne était soudain invivable. Hollande a trouvé la femme de sa vie (Ségolène Royal ne l’était donc pas ?), et son existence est en soi un coup guerrier pour une Ségolène Royal si assurée du tandem qu’elle faisait avec cet homme depuis la fin de l’ENA. Sa riposte n’est sans doute pas étrangère à sa candidature à l’élection présidentielle de 2007, où elle devient star des médias, vraie diva, madone du Poitou. La deuxième femme de Hollande devait s’en prendre plein les yeux, de cette lumineuse image de star. Il aurait quitté cette femme resplendissante pour une femme certes très belle, mais dans l’ombre du politique, qui plus est ne fera jamais tandem avec lui ! La jalousie de Valérie Trierweiler atteste du pouvoir de blesser qu’a sur elle Ségolène Royal. C’est rien de dire que, depuis le début de son histoire avec François Hollande, Valérie Trierweiler doit inventer sa place. En tout cas, elle n’est pas sans pouvoir, puisqu’elle a réussi à arracher Hollande de l’orbite « mère des enfants »…

Longtemps, comme nous le montre donc Serge Raffy, ce personnage semble ne pas désirer se mettre politiquement au premier plan, parfois il semble même être une sorte de looser, mais nous sentons à l’œuvre une très inhabituelle recherche de ce que signifie le pouvoir, alors que le sens habituel refoule hors des projecteurs médiatiques un personnage qui s’aime si peu, qui ne paie pas de mine, s’habille mal, qui soutient toujours d’autres candidats, qui finiront par leur indécision, leur abandon ou leur échec par ouvrir devant lui une perspective nouvelle, le temps pour lui d’y aller. D’autres ont donc dû échouer ou abandonner, Delors, Jospin, pour qu’enfin il voit l’horizon dégagé devant lui. Jamais fratricide, François Hollande. L’affaire du Sofitel, qui a éliminé DSK, le favori des sondages côté PS, n’a pas arrangé Hollande, sur le coup. Il n’était pas content d’avoir son pire adversaire éliminé de la bataille. Non seulement très peu fratricide, mais aussi très peu parricide. Il n’y a qu’avec Jacques Chirac que s’est joué un parricide, sur les terres de Corrèze, où François Hollande devient président de région à la suite de Chirac. Mais, curieusement, cet acte parricide ne va pas sans une vraie transmission, qui se voit dans le style de Hollande, proche des gens, qui ressemble beaucoup à celui de Jacques Chirac. Au point que lorsque Jacques Chirac a dit devant des journalistes qu’il voterait Hollande aux élections présidentielles, cela vaut reconnaissance d’un fils spirituel ! Rien de ça entre Chirac et Sarkozy : plutôt un parricide sans transmission…

On sent très bien, dans le cas de l’homme qui ne se met jamais en avant, et qui est la cible d’une sous-estimation plus ou moins avouée, qu’à un moment donné, le sens du mot « pouvoir » se transforme, dans le sillage d’une séparation : c’est à ce moment-là que le temps de François Hollande est venu, il est prêt, on pourrait dire seul contre tous, et avec une poignée de fidèles presque tous issus de la promotion Voltaire de l’ENA, à accéder aux plus hautes responsabilités de l’Etat, s’entourant d’experts. Tout se passe comme si le candidat Hollande, incomparable stratège, attendait en embuscade que son temps vienne, se laissant de manière trompeuse ainsi que le veut la stratégie destinée à tromper les adversaire être la « victime » apparente et sadomasochiste d’une attaque dirigée contre le plus faible. Drôle de pouvoir, qui s’attaque au plus faible en apparence. Le stratège se laisse être une victime de paroles assassines venant de son parti (celles des femmes, Aubry et Royal, celles des hommes, Fabius, Montebourg…) ou de droite. Cela ne le dérange apparemment pas, qu’ on le voit comme un personnage de second rang, docile, jovial, content de son sort, le bosseur de service pour que son héros gagne, homme sur lequel compter, fiable. Rien ne laisse soupçonner qu’un beau jour il accomplira le saut pour être en première ligne, capable de tuer les pères en politique (après s’être identifié à son père sur le plan de sa vie personnelle, en n’hésitant plus à tout chambouler, comme lui) et de dire « je » contre toute prédiction. Stratège qui aura réussi à avancer masqué, maître dans l’art de l’esquive, ayant pendant tout ce temps d’une sorte spéciale de servitude volontaire, s’inclinant devant plus grand que lui, acquis une expérience loin de l’exercice du pouvoir comme ministre. Loin sur ses terres de Corrèze, proche des gens.

La conséquence du choix d’une telle posture humble presque à l’excès a, mine de rien, accrédité le fait que, aux yeux d’une compagne dotée d’un culot hors du commun, et d’un ego qui va très vite crever les écrans, une reine d’abord discrètement installée au palais, c’est lui l’impuissant qui n’a rien fait, en politique, pendant vingt-cinq ans, c’est elle qui dit « je ». Elle, elle s’est hissée au-devant de la scène, sous le feu médiatique. Elle s’épanouit d’abord sous le regard protecteur de Mitterrand amusé par cette jeune femme culottée, puis devant les médias et le peuple, son image magnifiée va avoir une influence directe sur les cerveaux des émotions, elle incarnera soudain la diva de l’enfance, madone mère de chacun de nous, elle saura bien faire, toute seule. Dès qu’elle se lance en campagne électorale, que ce soit aux régionales ou à la présidentielle, elle semble pourvue d’un pouvoir d’essence naturelle et divine. François Hollande est l’impuissant de service, qui, contre son gré, travaille pour celle qui y est allée sans avoir besoin des hommes, des éléphants, ni du parti. Elle peut tout seule, elle a un impact direct sur les gens sans intermédiaire. Un brin paranoïaque, elle accuse son compagnon de ne pas l’avoir soutenue, et d’être la cause de son échec. Or, c’est le côté affectif, sentimental, intuitif, et le fait d’avoir cru pouvoir faire abstraction des hommes justement, et des poids lourds du parti socialiste, c’est cette forme implicite de mépris à leur égard, c’est sa hauteur dédaigneuse vis-à-vis de tous ces « impuissants », qui a signé son échec. Le succès politique, finalement, ne peut s’atteindre par un pouvoir sentimental, séducteur, intuitif, jouant sur le côté infantile des électeurs. Le doute a saisi une partie importante de ces électeurs, et a eu raison même contre les voix féministes plébiscitant la première femme à se présenter, une reine. En 2007, les élections présidentielles ont fait la preuve qu’une femme ne pouvait gagner en ancrant le pouvoir sur une forme de mépris du pouvoir castré des hommes, ces éléphants impuissants devant elle, alors qu’ils ne se sont pas privés de la sous-estimer… Elle aussi, elle a cru à un pouvoir qui se serait érigé par une sorte de castration naturelle des hommes, qui ne savent pas comme la mère des enfants comprendre ce que veulent les petits de France.

Cette biographie très réussie de Serge Raffy, qui nous accroche comme un roman, nous fait approcher au plus prêt d’un renoncement, d’un décrochage, grâce auxquels François Hollande peut enfin, en son nom, accéder à un pouvoir au sommet qui a changé de sens. Un pouvoir dont le sens est celui d’un temps adulte, où n’a plus cours une servitude volontaire ancrée dans un infantilisme émotionnel. C’est très clair après 2007. D’une certaine manière, la défaite de Ségolène Royal ouvre la perspective de la victoire de François Hollande, qui lui est si dissemblable en politique. Personnage paradigmatique, il nous dit, dans son sillage, d’aller nous aussi aux responsabilités de vie, sans nous attarder sous l’égide d’un père, ou d’une mère qui toute seule s’occuperait de notre avenir.

A un moment donné, François Hollande n’attend plus que des « pères » y aillent, ou que la Madone du Poitou y aille en touchant sans intermédiaire directement le cerveau des émotions par ses discours presque mystiques et sa démocratie participative, il y va lui-même, tuant enfin le père, et larguant les amarres d’avec « la mère des enfants ». Comme s’éternisant pourtant à mettre à l’épreuve un cerveau capable de ne pas fonctionner à l’affectif, capable de s’abstraire des signifiants de l’enfance, un beau jour, il largue les amarres, à la surprise générale et comme par hasard au moment-même où un tsunami qu’il a lui-même provoqué dévaste son ancienne vie privée, familiale, détruisant sa gentille et très conforme image de compagnon et père de famille idéal. Nous imaginons que sa célèbre compagne, ainsi que ses enfants, n’en revinrent pas de leur impuissance à le retenir, comme si soudain elle n’avait, justement, plus de pouvoir, plus « le » pouvoir. C’est très frappant, cette ruine d’une logique familiale, à l’aube de son grand départ vers une aventure politique enfin commencé en son nom propre, et qui va atteindre son but. A se demander si ne se situe pas là le changement de logique qui va révolutionner le sens du mot « pouvoir ».

Dès les premières lignes, on se demande donc qu’est-ce qui pousse cet homme vers le pouvoir avec autant de ténacité, de suite dans les idées, et de tranquillité, alors même qu’il semble, si longtemps, n’avoir aucune chance. Qu’est-ce que ça signifie pour lui, non pas cette prise du pouvoir, mais cette élection au suffrage universel au poste de pouvoir le plus élevé ? Le pouvoir, ils sont légion à le vouloir envers et contre tout, souvent dans la posture fanfaronne d’un « moi, je peux, les autres, non ! » qui évoque un pouvoir qui se prend parfois à la hussarde ou au culot, ou bien qui est distribué en récompense. Dans le cas de François Hollande, c’est très curieux, on dirait qu’il nous incite et nous invite, chacun de nous, à nous poser pour notre propre compte cette question du pouvoir, comme s’il était notre nouveau paradigme, et comme si c’était avant tout le pouvoir de se libérer d’un statut infantile, assujetti, attendant les solutions d’en haut. Allant très vite vers les gens, s’attardant à serrer les mains, y prenant un plaisir de plus en plus visible, ne viendrait-il pas saluer une prise de liberté individuelle qu’il se sent en train de prendre lui-même, sentant qu’il ne peut pas y avoir de responsabilité libre au sommet de l’Etat si elle ne se conjugue pas avec un même mouvement de désaliénation responsable de chacun des citoyens ?

Au fil de ce livre passionnant, on a plutôt d’abord l’impression qu’il n’en finit pas de renoncer, que ce n’est jamais vraiment son jour, que les personnages de pouvoir pour lesquels il œuvre toujours très loyalement ne pensent jamais à lui le moment venu, qu’ils lui en préfèrent d’autres. Alors même que, très jeune, il pénètre au château, via Jacques Attali, et que, au bout de quelques années, il sera avec Ségolène Royal dans le premier cercle de François Mitterrand. C’est ça qui est étonnant : il se met au service d’hommes politiques tels que François Mitterrand, Jacques Delors, Lionel Jospin, comme en espérant que sa fidélité et l’excellence de son travail lui vaudront en récompense une place dans l’exercice de ce pouvoir, tel un fils que le père inviterait à ses côtés pour qu’il partage avec lui les responsabilités les plus hautes. Jamais, tant qu’il y a ces sortes de pères en politique, François Hollande ne fera de geste pour y aller lui-même ! Au contraire, il s’incline devant celui qu’il veut voir gagner. Et qui, semble-t-il espérer, le prendra avec lui. Or, cela n’arrive jamais ! Il ne sera jamais promu ministre sous Mitterrand, ni avec Jospin premier ministre. D’un côté l’attente, la récompense logique, et de l’autre, toujours ces personnages politiques qui forcent au renoncement, qui poussent ailleurs, par exemple vers les terres de Corrèze, ou à être à la tête du PS (mais longtemps dans un statut d’intérimaire…) C’est donc étrange que pendant de longues années, François Hollande vienne buter sur le fait que, les uns après les autres, ces pères en politique ne le placeront pas, mais, en lui proposant à chaque fois un lot de consolation acceptable, ils repousseront toujours à une autre fois l’espoir d’être enfin promu ministre, de faire partie de ce pouvoir. Comme à l’entrée de l’enfer Dante se voit signifier : laisse tout espérance, toi qui entres, mais la tentation subsiste ! Par une sorte de transfert chaque fois puissant, prenant, il y va, il y croit, cette fois c’est possible, et puis, c’est le renoncement… Sisyphe pousse sa pierre jusqu’en haut, bien consciencieusement, avec ténacité, et à chaque fois, elle roule en bas, retour case départ. La vérité sur laquelle il achoppe chaque fois, c’est qu’un père, c’est quelqu’un qui, même si on fait tout pour lui, même si c’est le seul héros possible, ne fera rien pour le placer, pour le faire advenir logiquement aux postes de pouvoir, partageant avec lui. Un père ignore le petit pourtant si méritant, même s’il feint de jouer le jeu (A ce propos, ces deux campagnes présidentielles, celle de 2007 avec Ségolène Royal, celle de 2012 avec François Hollande, faites en famille, avec le fils aîné Thomas, c’est bien gentil, ça peut toucher dans les chaumières, mais c’est d’un ridicule ! Le fiston avec maman, puis papa… On l’espère capable de sortir de leur orbite ! De faire autre chose que fils auquel maman puis papa doivent l’essentiel d’une campagne ! Vous vous rendez compte l’ego d’un tel fils ! C’est lui qui accueille papa au bas de la tribune lors du dernier meeting, à Vincennes, rien que ça ! En famille ! Le papa à son fiston ! ) Un père, au contraire, fait tout pour abandonner le fils à sa propre vie politique, pour l’aguerrir : qu’il aille faire ses armes dans la France provinciale, seul, inconnu. C’est d’ailleurs le conseil que donne François Mitterrand au jeune François Hollande ! Conquérir une terre de province. Aller sur le terrain. Si on est un inconnu, on n’a pas d’ennemis. Et c’est sur cette terre de Corrèze qu’il va se mesurer à un autre père, Chirac, qu’il va défier, et finalement battre, non sans avoir avant eu le temps d’estimer cet adversaire et d’apprendre de lui.

Ne pas rester au château, si on vise le pouvoir ! Ségolène Royal va comprendre un beau jour qu’elle s’y est trop attardée, et qu’elle a commis une erreur… Les électeurs sont sur le terrain, pas au palais, où Royal, logiquement, rime avec ce monarque que devient de plus en plus Mitterrand. Ce n’est pas dieu le père qui a le pouvoir de la confirmer reine aux yeux du peuple, même s’il a encore le pouvoir et qu’elle l’amuse… Son compagnon, François Hollande, est déjà depuis des années sur le terrain, et il se présente dans la circonscription de Corrèze. En un clin d’œil, Ségolène Royal saisit qu’il peut être en avance sur elle, qu’il a été plus intelligent, sur le plan politique. Alors, elle aussi veut se présenter dans une circonscription ! Elle se tourne alors… vers dieu le père, vers le monarque en son palais : elle obtient de François Mitterrand la circonscription des Deux-Sèvres, in extremis ! En 15 jours de campagne électorale seulement, elle gagne ! François Hollande aussi, mais lui, il a travaillé sur le terrain des années ! Deux conceptions du pouvoir se sont déjà, là, confrontées, mine de rien. Elle se fait, avec un culot monstre, désigner d’en haut, Ségolène Royal, celle qu’on élit a sur elle le regard du président, ça favorise beaucoup, et irradie l’image d’une jeune reine, ça parle directement aux cerveaux des émotions, sur fond de féminisme, et la campagne électorale au plus proche des gens peut être courte, sa présence est bien plus efficace que plusieurs années de militance sur le terrain. Concurrence de deux sens du mot « pouvoir », au sein du couple politique Hollande-Royal. Bien sûr, Ségolène Royal peut exploiter auprès des gens du peuple la connaissance de terrain qu’elle tient de son enfance, mais son moteur, ce n’est pas ça, c’est l’ego qui irradie d’avoir obtenu d’être promue par le président figure paternelle, d’être envoyée par lui telle une fille vue reine par son père. Le sens du nom « Royal » en train de se rejoindre. Avec l’effet que cela a sur l’image médiatique de cette femme. Une image très puissante ! Le pouvoir d’une image en train de s’épanouir, de prendre son envol. Une femme ! Pouvoir médiatique, déjà. Grand sens du pouvoir de l’image. Elle devient bien plus belle que n’a pu la faire devenir belle la vie avec son compagnon…

L’impression qu’on a de François Hollande tout au long du chemin qui mène de son enfance jusqu’au sommet de l’Etat, c’est qu’il reste le garçon de bonne famille, bien élevé, docile, agréable à vivre, jovial, travailleur, tranquille, toujours là pour se mettre à la disposition de l’homme politique dont il espère la victoire. C’est peut-être encore plus vrai pour Ségolène Royal, par cette image d’une jeune fille qui semble avoir été éduquée au couvent des Oiseaux, à la fois très autoritaire, lointaine, dédaigneuse, culottée, n’en faisant qu’à sa tête, passant toujours aux forceps, et fille préférée du père, sa reine qui peut tout se permettre. Le tandem politique qu’ils incarnent très jeunes, cette entreprise Hollande-Royal, débute avec cet air d’enfants sages et studieux, travailleurs, ayant réussi à s’installer dans la maison familiale mitterrandienne : au palais, ils peuvent même rester un peu clandestins les premières années, ce n’est pas grave, ils sont dans l’ombre bienveillante du père tout proche, qui a le pouvoir, et deviendra de plus en plus un monarque au fil de ses deux septennats. Hollande et Royal, couple politique, sont dans le giron du pouvoir, discrets et besogneux, rédigeant consciencieusement des notes pour le président, tels des enfants chanceux, gâtés par le destin très tôt. C’est frappant de les voir tous les deux garçon et fille très sages, placés tout prêt de dieu le père. Si on les compare à Nicolas Sarkozy, le contraste est énorme ! Nicolas Sarkozy est déjà en train très jeune à Neuilly de prendre en personne le pouvoir, en petit Bonaparte. En fait, c’est très curieux comme, pour François Hollande, et Ségolène Royal qu’il emmène avec lui lorsqu’il y pénètre via la Cour des Comptes et Jacques Attali, l’Elysée de Mitterrand c’est le pouvoir comme une sorte de giron miraculeusement retrouvé. Aussitôt, ce couple qui étonne le président ressemble aussi à un frère et une sœur qui jouissent de se retrouver dans une maison familiale devenue un palais. Ils vont y travailler comme s’ils étaient redevenus des écoliers privilégiés, dans un temps de rêve, entre maman la République et papa le président qui a le pouvoir. Pour François Hollande, et pour Ségolène Royal à laquelle il a donné le virus de la politique, le pouvoir au début de l’aventure n’a-t-il pas pour le cerveau des émotions un étrange air de retour au temps heureux de l’enfance à Bois-Guillaume, quand papa n’avait pas encore tout bouleversé, ou pour Ségolène Royal un retour en un temps de rêve où le père est enfin idéal avec sa fille ? Certes, l’homme qui, au palais, a le pouvoir suprême, n’est pas si ombrageux que le père de l’enfance, mais il garde ses distances d’avec ses « enfants » en politique, même s’il les suit de loin avec une attention qui semble de père de famille. D’une certaine manière, la situation présente au palais ne répare-t-elle pas et ne refoule-t-elle pas le bouleversement douloureux imposé par le père de François Hollande, ainsi que celui provoqué par le divorce demandé par la mère de Ségolène Royal pour mettre fin à son statut de femme soumise à un mari autoritaire et prisonnière des tâches domestiques et familiales ? C’est incroyable d’ailleurs comment, dans cette nouvelle configuration qui s’est bâtie dans le giron mitterrandien, avec donc une sorte de bénédiction de la part d’une figure paternelle enfin attentive et puissante, Ségolène Royal peut devenir une mère de famille nombreuse rayonnante mais non prisonnière des tâches domestiques ni dépendante de son compagnon : c’est une femme qui a le pouvoir d’une part de déléguer à une nounou la part domestique de sa vie, et d’autre part d’incarner auprès de ses enfants un rôle sacralisé de mère poule attentive dans le temps qu’elle a le luxe de pouvoir s’octroyer pour eux.

Le pouvoir, d’abord, ne serait-il donc pas pour « l’entreprise Hollande-Royal » une forme de refoulement du bouleversement violent survenu dans leur famille respective et imprimant une cassure dans le temps heureux de l’enfance ? Lors du déménagement de Bois-Guillaume vers Neuilly, le jeune François âgé de 13 ans n’avait rien pu emporter, il retrouve quelques années plus tard un palais, même s’il y est en tant qu’enfant de la politique. De son côté, Ségolène Royal s’est sans doute beaucoup révoltée du statut soumis d’une mère oscillant entre l’assujettissement à un mari militaire et une jouissance royale bien que fragile, et de l’impossibilité d’être certaine d’être la reine de son père. Lorsqu’on s’appelle Royal, on se sent reine ! Mais sans doute était-ce pour la petite fille difficile de coïncider avec ce statut. La faute au père. De même que c’est la faute au père, si l’enfance heureuse a été stoppée net pour François Hollande. Mitterrand, c’est un père qui, d’abord, se profile à l’horizon, François Hollande le remarque et le choisit très tôt, bien avant qu’il soit au sommet de l’Etat, dans le sillage de sa mère. François Hollande, c’est peut-être ce côté bûcheur et garçon docile et vif, intelligent, bien formé voir formaté, qui l’a fait être remarqué pour être proposé à l’Elysée : une sorte de garçon idéal. Aussitôt, la République, n’est-ce pas comme une mère aimante, optimiste, tournée vers les autres. Une République enfin servie par un père adéquat ! Famille réparée. Et Ségolène Royal se positionne très vite en fille préférée du père, capable de l’amuser, de le séduire, et d’imposer ses volontés au palais, même si son air de madame Sans-Gène en indispose plus d’un : elle est reine ! Son nom, Royal, a pris tout son sens, et elle n’entend sûrement pas s’en priver ! François Hollande, lui, sous l’œil bienveillant d’un père attentif, peut redevenir le fils préféré de sa mère, celle qui aime les autres et ne les humilie jamais, celle qui était déjà elle-même pour Mitterrand alors que son mari était à droite voire plus. On soupçonne que le choix politique de François Hollande se situe déjà dans son choix de prendre le parti de sa mère contre son père. Et c’est ainsi que, comme déjà désigné par sa mère depuis l’enfance, il reconnaît logiquement en François Mitterrand une sorte de bon père.

On voit, entre les lignes du livre de Serge Raffy, que pour François Hollande aussi bien que pour Ségolène Royal, advenir dans le milieu politique d’emblée au palais, pas loin du président, joue comme une réécriture en regard d’une enfance qui a été tourmentée par la faute de leurs pères respectifs dont la première qui en a souffert est leur mère. On pourrait dire que ce qui les unit, c’est bien sûr une sorte de similitude d’enfance dérangée par une figure paternelle pas assez protectrice du cocon familial. Derrière le côté ombrageux et sombre du père de Hollande, on pressent encore les ravages de la guerre dans le nord de la France, la fuite en France de la famille alors protestante, il y a plusieurs siècles, pour échapper au bûcher de l’Inquisition. Un père qui transmet à la famille la sensation d’une menace, d’une sorte de fragilité, d’une catastrophe imminente, d’une cassure à venir, alors même que, on l’imagine, la famille est aisée. Avec un père chirurgien, dans cette famille on doit se sentir à l’abri, rien ne manque, et l’enfance est heureuse. Sauf que, par ce père qui fait des opérations immobilières risquées, et aussi par les récits des deux grands-pères, maternel et paternel, ce milieu confortable de l’enfance menace de se lézarder. De plus, le petit François sait à quel point son père peut s’opposer aux projets de ses fils, il a vu comment cela s’est mal passé entre son frère Philippe et lui, sa mise en pensionnat puis le départ définitif.

Chacun d’eux, François Hollande et Ségolène Royal, semblent croire une même chose : si leur père respectif avait été différent, aimant envers femme et enfants, qu’est-ce que leur enfance, jusqu’au bout, aurait été bien ! Et leurs mères n’auraient pas été les premières victimes d’un père pas assez attentif, autoritaire, ombrageux, pas assez soutien du cocon familial. Ce qui fait que, d’abord, lorsque le bon père, le père qui a le pouvoir le plus haut, les accepte au palais, à travers Ségolène Royal c’est en quelque sorte cette figure de la mère qui est réparée. Encore plus que « la mère de ses quatre enfants », ne faudrait-il pas entendre à propos d’elle « la mère des enfants » ? Tandis que la figure du père qui dérange tout pour faire advenir un autre temps et une autre logique est en embuscade sans que personne ne s’en doute… Car, tout de même, un beau jour, bien des années après, à son tour François Hollande n’a-t-il pas fait trembler la terre familiale comme son père l’avait fait, cessant d’être en orbite autour de l’icône maternelle qui s’était érigée en madone ?

L’entrée en politique permet de réaliser longtemps des rêves d’enfants à propos du père, on reste dans un univers familial transposé en politique, bien sûr l’ambition de ces deux jeunes gens qui se positionnent comme personne et travaillent comme des fous attire l’attention du président, mais en fin de compte ne faut-il pas lire ce qui se passe sur une autre scène : Ségolène Royal ne se met-elle pas à incarner la réussite que le jeune François rêvait pour sa mère, devenant autonome, non dépendante de son mari, et, donc, ne demandant pas à celui-ci, non plus, d’être à la hauteur mais juste de l’admirer ? C’est dur, en devenant un homme, de se dire qu’on peut, comme l’a fait son père avec sa mère, décevoir une femme qui attendrait tout de soi. Or, il n’y a pas ce risque avec Ségolène Royal. D’une certaine manière, elle est comme une sœur, ils font ensemble leur premiers pas en politique, mais sans être dépendants l’un de l’autre, la fille semblant d’abord exploiter et suivre la voie ouverte par le garçon. On voit très bien Ségolène Royal, en train de devenir non pas une courtisane mais une petite reine sous les yeux de cette figure paternelle qu’est le président, s’épanouir, sous les yeux admiratifs de François Hollande. Elle réalise le rêve qu’il voulait pour sa mère. En même temps, il peut n’y être pour rien. Ou presque… Puisque c’est dans le sillage de François Hollande, depuis leur premier stage ensemble en banlieue, alors que pendant les années d’ENA ils ne s’intéressaient pas du tout l’un à l’autre, que Ségolène Royal a pris goût à la politique, et donc s’intéresse aux conditions sociales dans lesquelles les gens vivent. Avec le flair qu’elle a, sent-elle qu’elle peut être sa reine, à lui aussi, par ce tempérament indépendant, fier, tenace, qu’elle a, et qu’il aurait rêvé que sa mère ait pour ne pas être soumise à son mari ? Au moins, il a trouvé une femme qui n’est pas du genre à être dépendante de lui. Comme s’il l’avait soudain vue : tiens, une qui n’en fait qu’à sa tête, qui s’est tenue à l’écart à l’ENA, silencieuse, peu participative. Une femme qui semble en avoir, donc qui n’oblige pas à en avoir. Et une femme qui, dans son regard, ne se sent nullement restreinte dans sa liberté, dans ses ambitions. Au début, il semble n’y avoir aucune concurrence entre eux, et sûrement pas une guerre des sexes sur le terrain de l’ambition politique. Laissant leurs enfants à la nounou, aux grands-mères, à la crèche de l’Elysée, on les imagine allant au travail ensemble comme un frère et une sœur allant à l’école… En lisant le livre de Serge Raffy on a l’impression de vies parallèles, chacun dans leur ambition politique, et se retrouvant en famille, autour de cette « mère des enfants », cette mère que l’enfant qu’il fut aurait voulu voir en sa propre mère libérée. Une mère épanouie par son activité politique, une sorte de reine de la famille, très prise mais revenant en mère-poule attentive et exigeante, sous le regard attendri du père de ces enfants qui se sent comme l’un d’eux, père copain, cet homme qu’on dit cérébral, ne manifestant pas ses émotions, est là, en famille, pris par l’émotion. Tableau d’une sainte famille… Rêve d’enfant réalisé.

Ségolène Royal, même si elle a dû beaucoup se battre et faire des petits boulots après le bac pour payer ses études, lorsqu’elle est arrivée, lorsque l’ENA lui donne accès à un traitement privilégié payé par l’Etat, par exemple lors d’un stage aux Antilles où elle bénéficie de conditions privilégiées de séjour, appartement de fonction etc. non seulement elle refuse de partager avec ceux qui, de la même promotion qu’elle, ont eu moins de chance qu’elle pour ce stage, en payant une obole, parce qu’elle estime qu’ils sont, eux, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, mais pas un seul instant à ce moment-là où elle fait ses premiers pas dans la vie active elle ne remet en question le fait qu’il puisse y avoir ce genre de privilèges, coûteux pour l’Etat. Comme si c’était son tour, après ceux qui y ont goûté depuis leur enfance privilégiée. On sent cette volonté farouche d’avoir enfin une place privilégiée, et la décision d’y rester, le cerveau de la récompense entrant en résonance avec l’ego de Ségo... Elle ne partage pas, une fois qu’elle a la preuve qu’elle est enfin… une privilégiée, une royale. D’où cette image bourgeoise qu’elle donne d’elle, la femme qui dit être proche du peuple fait pourtant lointaine, privilégiée, une image qui dément les paroles. Bourgeoise de province, puis bobo… On sent cette ambition d’accéder à un statut royal que sa famille, par-delà le nom, n’avait pas pu atteindre, et pourtant ce nom ne cessait de le faire miroiter. Pourquoi partager, puisque ça signifie royal, et que depuis cette place-là, elle a, seule, le pouvoir de faire tout pour ce peuple qui l’acclame ? Quand c’est son heure, en 2007, la diva Ségolène Royal parle directement au cerveau des émotions du peuple, sans avoir besoin d’intermédiaire ni des hommes. Plus elle rayonne, plus elle fait la madone du Poitou, avec des élans mystiques dans ses discours, plus elle s’impose dans son image privilégiée, médiatisée, donc lointaine, plus elle s’inscrit dans le cerveau des émotions comme très proche des gens, parlant comme eux, je vous écoute et nous décidons ensemble, vous participez, je semble une ménagère parmi les ménagères, si royale pourtant, et mère de tous ces enfants, je suis celle qui prend soin d’eux directement, sans l’aide des éléphants, ni des hommes, et pas même de mon compagnon, celui qui n’a pas fait grand-chose… Des airs de Vierge Marie, tailleurs blancs, bras en croix : la madone est « la mère des enfants ».

Quelque chose, très longtemps, est refoulé : aussi bien François Hollande que Ségolène Royal oublient que s’ils n’avaient pas eu le père qu’ils ont eu, pères respectifs qui a imprimé une vraie cassure dans leur enfance et adolescence, qui a ouvert sur un autre monde, qui a forcé à se débrouiller dans une vie nouvelle, à y émigrer, jamais sans doute ils n’auraient fait de la politique, jamais ils ne se seraient retrouvés sur cette autre scène, enfants politiques du père président Mitterrand. François Hollande serait devenu médecin et aurait pris la suite de son père à Bois-Guillaume, dans la banlieue de Rouen. Et Ségolène Royal serait devenue fonctionnaire dans sa Lorraine natale. Chacun d’eux doit au père leur aventure politique ! S’ils avaient eu un père uniquement soucieux du bien-être de la famille, attentif à sa femme et à ses enfants, assureur du meilleur des mondes, veillant à la bonne réussite de sa progéniture, ils auraient eu une vie toute tracée, très banale. Mais, au contraire, le déménagement soudain à Neuilly a précipité le jeune François dans une nouvelle vie, il a dû sentir l’altérité inquiétante, son image est déstabilisée, il vient de province, soudain il est un plouc parmi des élèves de milieu privilégié. Là, il sait se battre, se défendre par la jovialité, le rire, l’humour, l’art de l’esquive, son tempérament non rancunier, et sans doute aussi ce côté enfant attachant et bosseur, apaisant. Il sait se battre parce qu’il a déjà appris avec son père et les religieux de son lycée à faire avec les aspérités des autres, leurs duretés, leurs injustices, leurs bizarreries. Il a appris l’art de l’esquive, la stratégie, la vie comme jeu d’échecs. Il n’est pas démuni, face à ces « ennemis ». Au contraire, ce stratège persiste à leur parler, par-delà le mépris et la tentative d’abaissement humiliant dont il est la cible. Il n’est jamais « tué » par l’autre, même si celui-ci est humiliant, ou plus fort, plus riche. Il répond par la jovialité, la bonne humeur, l’apaisement : une armure efficace. Il sait par expérience sans doute qu’en réagissant ainsi, par cette bataille défensive immunitaire jamais conflictuelle, par la non violence, en continuant à parler à ceux qui se moquent de lui, il est, secrètement, le plus fort. Il sait apaiser la haine. Il fait presque la victime, pour qu’on cesse de l’attaquer, parce qu’il n’y a plus lieu de le faire face à quelqu’un qui ne revendique rien, qui s’est laissé être infériorisé, qui en rit, qui ne cherche pas la rivalité, ni être le plus fort, le fanfaron. Ainsi, il ne titille pas l’ego de ses adversaires, il ne met pas en question leur certitude d’être mieux que lui, il ne les déstabilise pas. En vérité, des adversaires mis en échec dans ce jeu aux échecs, puisqu’il prive de sens leurs attaques destinées à prouver qu’ils sont les plus forts, les privilégiés, ceux de Neuilly, qui regardent de haut le plouc provincial. Il continuera longtemps à mal s’habiller, comme pour afficher qu’il ne fait pas de l’ombre aux riches de la capitale, puisqu’il est resté ce provincial mal attifé qui se goinfre comme un gamin de gâteau au chocolat. Ce n’est que lorsqu’il se lance dans la campagne électorale qu’il change de look, comme se démasquant, comme disant hilare : vous aviez cru que j’étais ce petit provincial inoffensif, voyez comme je suis élégant, aussi bien que vous, oui un plouc peut arriver à ce résultats ! Vous n’aviez pas vu le crocodile au fil de l’eau ? On voit à quel point en réalité la guerre secrète était engagée, et que Hollande nouveau look, tranquillement, peut lui aussi, sans jamais être une star, attirer les médias par sa transformation. La guerre des images avec Ségolène Royal se fait sans mot dire…

Il y a donc toujours, par-delà un père dont il n’aurait pas pris le parti parce qu’il aurait choisi celui de la mère, un père infiniment plus important qu’on ne pense. Cela se sent aussi entre les lignes de cette biographie. François Hollande a littéralement été préparé à affronter les nombreuses vicissitudes sur l’impitoyable chemin du pouvoir par son père ! Le goût de François Hollande pour le livre d’Albert Camus « Le mythe de Sisyphe » vient peut-être de là : pousser la pierre en haut sous les yeux du père, et comme ce père ne la prend pas, elle retombe encore et encore. Tous les personnages politiques que François Hollande rencontre sur son chemin sont comme des aspects du père : beaucoup lui permettent d’avancer dans ce milieu quand même privilégié de la politique, Jacques Attali, François Mitterrand, Jacques Delors, Lionel Jospin, mais beaucoup le sous-estiment, le considèrent comme rien, comme mou, comme incapable de prendre des décisions à un poste de responsabilité. Mais François Hollande sait déjà depuis longtemps qu’il ne faut pas fonctionner à l’ego pour être un stratège.

Or, stratège il l’est non seulement face aux plus forts, face à ceux qui, même dans le même camp politique, sont des rivaux, mais aussi face à une compagne qui ne se dévoile jamais comme une rivale en politique.

Le pouvoir, le vrai, celui qui peut obtenir la voix des électeurs, c’est d’abord celui de se désaliéner, donc de ne pas voter sous la coupe de la séduction, de la fascination, de l’affectif. Une désaliénation intime, inconsciente, personnelle. Pouvoir de s’éloigner de l’orbite enfantine. De l’orbite familiale. De l’orbite maternelle. De l’orbite de chacun des pères en politique. De l’orbite de la lutte pour le pouvoir entre « frères », voire grands frères pleins de suffisance et de condescendance vis à vis de « Flamby », de « Fraise des bois ». De l’orbite de la guerre des sexes, où les femmes de pouvoir trouvent forcément qu’il est mou, flou, qu’il n’a rien fait en plus de vingt-cinq ans, que heureusement qu’il y a encore des gonzesses. A entendre ces femmes, Royal, Aubry, les femmes en ont plus que les hommes…

On sent que c’est dans le sillage de la mort de sa mère que François Hollande prend la mesure de ce qu’est vraiment le pouvoir : pouvoir de s’arracher au matriciel, et non pas pouvoir d’y ramener tout le monde. Il est prêt à devenir président avec ce deuil. Jusque-là, cette mère n’avait cessé son activité non seulement dans le milieu familial de son fils, et auprès de cette mère auréolée qu’est cette belle-fille de plus en plus médiatique, mais aussi à propos de l’ambition politique de son fils, le voyant sûrement président. Celui-ci aurait voulu qu’elle voit ça ! Mais le nouveau président doit faire le deuil de sa belle image victorieuse dans le regard de maman. Il ne peut regarder en arrière. C’est dans le regard de ses électeurs, du peuple de France que, seulement, il peut se voir, qu’un président peut se voir, une image qui en passe par l’épreuve de leur jugement au fil du quinquennat. Son image de président, ce n’est pas celle, rassurante, qu’il aurait vue dans le miroir de maman. Le peuple de France lui renvoie une image toujours changeante, jamais la même, en relation avec les décisions qu’il prend pour son pays.

A en juger par la candidature de Ségolène Royal à La Rochelle, aux législatives de juin 2012, au prix d’une tentative d’évincement du candidat en place depuis des années, qui avait par ailleurs beaucoup soutenu notre futur président, François Hollande a du mal à tourner la page « mère des enfants ». Il n’aurait pas pu faire autrement que soutenir à La Rochelle la « mère de ses quatre enfants », et un homme aurait dû s’effacer devant cette reine appuyée d’en haut. La brutalité du « Pousse-toi de là que je m’y mette ! » aurait dû être masquée par le « privilège » d’être la seule que le président soutienne lors de cette campagne des législatives. Là-encore, elle devait être désignée par le président, par le palais, un peu comme avec Mitterrand pour l’élection dans les Deux-Sèvres ! C’est fou comme Hollande a marché à fond ! L’homme qui ne mélange jamais le privé et le public a invoqué une chose privée pour soutenir une candidate. Un homme n’a pas marché, face à cette femme qui tente toujours de s’imposer aux forceps, et qui tient une partie de son pouvoir de son statut de star des médias, de la conscience parfaite qu’elle a du pouvoir de son image devenue presque une icône, pouvoir sur le cerveau des émotions, sur l’affectif, l’intuitif. Le cérébral devrait s’effacer. L’homme devrait s’effacer, toute seule une femme réussirait, avec l’appui du palais. Le palais, signifiant important pour désigner une reine, pour établir une royauté qui serait naturelle, qui serait plébiscitée par les cœurs. Un tweet de la part de la femme de la vie du président a violemment troublé la sentimentale scène familiale : le père des enfants, au sommet de l’Etat, soutient la mère de ses enfants ! Le moment semble être celui du choix, pour le président… Celui-ci n’a pas épousé la « mère des enfants », laquelle, d’ailleurs, n’aurait pour rien au monde accepté de s’appeler Hollande et renoncé au nom du père et un statut de reine pour la fille du père. Epouser Valérie Trierweiler ne serait-il pas un acte symbolique attestant de la fin définitive de « l’ancien régime », de l’ancienne logique, de l’ancien sens du mot « pouvoir », au profit du « nouveau régime », d’une nouvelle logique, d’un nouveau sens du mot « pouvoir » ? Serge Raffy évoque aussi l’intérêt de ce mariage !

C’est fou comme Ségolène Royal s’était inscrite comme indispensable, c’est elle qui aurait eu le pouvoir de faire gagner Hollande en lui offrant ses électeurs ! Son ex-compagnon ne pouvait pas gagner sans elle, et « la femme de ses quatre enfants » a sans doute, en échange, exigé une contrepartie non seulement politique, cette place au perchoir, mais, encore plus, l’affichage aux yeux de la nation du couple politique jamais détruit. Elle voulait que leur couple politique s’affiche au sommet de l’Etat, lui au palais et elle au perchoir. C’est Valérie Trierweiler qui a jeté une bombe sur ce couple indestructible ! Et a pris le risque fou de détruire son histoire d’amour avec le président. Elle a empêché que l’ancien couple s’affiche au sommet de l’Etat. Quitte à se faire, elle, discrète, auprès de François Hollande, et en s’engageant à tourner sept fois son pouce avant de tweeter.

Lors du meeting de Rennes, qui est organisé pour réconcilier l’indispensable Ségolène Royal et François Hollande, après l’oubli désastreux de la mentionner à Reims dans la vidéo retraçant l’histoire du PS, après avoir parlé en premier et s’être fait ovationner par les nombreux participants, elle reste au pied de la tribune au lieu d’aller s’asseoir à la place prévue par les organisateurs. Cette femme entend n’en faire qu’à sa tête, comme toujours. Ségolène Royal, avec un culot fou, accueille François Hollande et le conduit à la tribune, sous les flashs des médias : comme si c’était elle, la reine et la candidate de 2007, qui lui passait le flambeau, voire le désignait. La reine et son roi, comme s’il procédait d’elle… Le couple indestructible, le tandem… Hollande la pousse hors de la tribune. Vexée, elle refuse d’aller s’asseoir à sa place, et se dirige vers une salle, où elle est applaudie par ses partisans, où elle leur parle. Puis, très souriante, ayant vérifié à quel point elle était encore aimée, non oubliée, elle est revenue s’asseoir enfin où on voulait. Quelques minutes après, Valérie Trierweiler, qui était elle aussi restée dans une salle pour ne pas écouter la star du Poitou, arrive toute souriante mais comme un scud, et s’arrête devant Ségolène Royal, pour lui serrer la main. Celle-ci a un regard noir… Un nouveau couple malmène celui qu’elle croit toujours faire avec le candidat…

La femme de la vie du président a sûrement beaucoup de flair quant à l’éventuel handicap (sentimental ?) de l’homme dont elle partage la vie, puisqu’elle a eu un père handicapé. Pensionné de guerre après avoir sauté sur une bombe de la dernière guerre à l’âge de 13 ans, celui-ci fut pensionné de guerre, et, sûrement, la petite fille a-t-elle toujours durement senti l’impuissance de ce père à lui faire un cocon familial confortable. Elle a eu, dit-elle, une enfance heureuse, mais on l’imagine très tôt convaincue de se faire elle-même un avenir. Et, à la force des poignets, elle a réussi. Lorsqu’elle entre dans la vie de François Hollande, c’est fou comme c’est un homme qui a encore une jambe dans la vie d’avant, puisqu’il a quatre enfants avec une femme qui est une star des médias et de la politique, et que ce qu’ils ont commencé ensemble ils devraient le poursuivre. Un homme partagé entre deux femmes, la première et la deuxième, François Hollande, tellement Ségolène Royal garderait de pouvoir d’une part par son image politique à jamais auréolée d’une candidature présidentielle et d’autre part en tant que mère des enfants ? On a envie de dire qu’un jugement de Salomon, de la part de Valérie Trierweiler, qui pour ne pas le partager laisserait son homme entier à la première qui le talonne tellement, serait une sacrée surprise pour lui… Voulant éviter le conflit, la guerre, il laisse la madone du Poitou régner… Cela n’échappe pas à celle qu’il désigne comme « la femme de sa vie ». Longtemps, Ségolène Royal a joué de son poids politique, du fait que sans les voix qu’elle pouvait lui apporter, François Hollande ne pouvait pas être élu, pour tenter de faire perdurer le couple privé qu’ils furent si longtemps. C’est vrai que Hollande joue les pragmatiques, et, pour gagner, les ennemis d’hier ne sont pas repoussés aujourd’hui, car, dit-il, il n’a pas de mémoire. Mais c’est le pouvoir-même de Ségolène Royal qui est en question ! Sa conception du pouvoir est-elle proche de celle de son ex-compagnon, ou bien, si on y réfléchit, y a-t-il incompatibilité ? La madone du Poitou n’est-elle pas convaincue que toutes les idées de Hollande viennent d’elle, et qu’il doit le reconnaître au plus haut de l’Etat, de sorte que dans leur tandem indestructible, c’est elle qui serait le cerveau, et lui serait l’exécutant ? C’est très frappant comme cette femme ne lâche jamais prise, au risque de la paranoïa ! Comme si les hommes devaient un jour reconnaître que toutes les idées, c’est elle… Il y a de ça, toujours, chez cette femme…

Mais le pouvoir, est-ce un éternel recyclage de cette situation de première enfance où la mère était cette reine qui comprenait tout, et avait des idées pour que rien ne manque, pour que les vulnérabilités soient bien prises en charge. C’est si facile de se sentir puissant, de prendre le pouvoir, en exploitant les vulnérabilités des gens, en les voyant comme des mineurs qu’on ferait bien sûr participer, comme les enfants autour de la table, avec maman qui les entraîne et s’exclam à chacune de leurs idées ?

Ou bien une sorte de castration primaire doit-elle atteindre la reine de l’ancien régime ? Lorsque Ségolène Royal pense qu’elle donne à son ex-compagnon les voix indispensables, c’est elle qu’elle aime, et elle n’aime son ex qu’en tant qu’il l’aime encore, quoi qu’il en dise, et au nom d’un tandem politique qui ne saurait rompre. Or, les électeurs que la madone du Poitou aurait donné au candidat Hollande seraient-ils la propriété de cette reine du ciel ? Seraient-ils si petits, si infantilisés, si fascinés par cette figure de leur maman, qu’ils seraient incapables de choisir d’eux-mêmes, sans qu’elle guide leur choix ? L’élection de François Hollande à la présidence de la République, il est temps de parier qu’elle s’est faite par des voix libres, non pas par des voix amenées par Royal, par Aubry, par les éléphants, par Mélenchon, par les écologistes, etc. Il est temps d’admettre que les électeurs ne sont la propriété politique de personne, et que les rapports de force et les chantages pour la répartition des places, cela ne serait plus aussi calculable…

Le livre de Serge Raffy regorge de détails précis et pertinents sur l’histoire de François Hollande de son enfance jusqu’à son arrivée à l’Elysée. Notre président est devenu un personnage public, et s’intéresser à d’où il vient, pour mieux comprendre où il peut aller, n’est-ce pas indispensable pour chaque citoyen. En ce cas, le livre de Serge Raffy est à lire absolument ! Je n’ai fait, dans mon article, que livrer quelques impressions et brins d’analyse. Librement.

Alice Granger Guitard

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