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Le complexe d’Orphée - Jean-Claude Michéa
2 mai 2012, par Mélèze


Jean-Claude Michéa.

Le complexe d’Orphée

La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès

Paris Flammarion 2011


C'est bien normal que ce soit un spécialiste de Mauss qui s'efforce de répondre à Jean-Claude Michéa et de critiquer son livre sur le complexe d'Orphée. Car Michéa est aussi un spécialiste de Mauss dont il se réclame dès le début de son livre. Et il est membre du MAUSS c'est-à-dire du « Mouvement Anti Utilitaire dans les Sciences Sociales » dont nous nous sentons aussi assez proche. Le lecteur trouvera une présentation élogieuse du M.A.U.S.S dans la note de la page 280



« Les travaux accomplis depuis plus de trente ans, par les chercheurs du MAUSS (Mouvement Anti Utilitaire dans les Sciences Sociales) sont ici irremplaçables. On en trouvera une synthèse magistrale dans les ouvrages de Jacques T. Godbout : L'esprit du don (en collaboration avec Alain Caillé, la Découverte, 1992), le don la dette et l'identité (la découverte) 2000 et Ce qui circule entre nous (Seuil 2007).


Cependant à nos yeux la critique de la gauche que fait ici Michéa n’a pas grande signification. On ne comprend pas comment l'affaire Dreyfus aurait pu être fondatrice de quoi que ce soit et pour tout dire si quelqu'un a été victime du mythe d'Orphée c'est Orwell lui-même. Ainsi par le truchement de développements philosophiques qui sont mal faits, mal organisés et aussi mal développés puisque Michéa nous donne à lire des réponses à un forum sur internet et non pas un livre d'idées vis-à-vis duquel il aurait pu prendre la distance, il en arrive à confondre son objet, la gauche avec son inspirateur Orwell lui-même.


On ne sait pas si on doit voter pour la droite ou pour la gauche. La critique de la gauche est si acerbe que certain reviendront en arrière dans leurs préférences.


Commençons par une remarque rarement faite au sujet D’Orwell et de sa compréhension en France c'est que son livre principal 1984 dont le héros s'appelle Big Brother fait souvent l'objet d'une confusion. Brother qui veut dire « frère » est compris en fait comme un œil et le « gros frère » traduction mot à mot du sous-titre du livre est compris comme « le grand œil » qui surveille tout à travers les caméras.


Ainsi Orwell est ambigu. Quand il est cité il fait commettre à Michéa des erreurs. Par exemple p 230 :

« La police de la pensée se transforme en police des intentions et des sentiments cachés. »

Michéa croit que la vision policière d'Orwell est guidée par l'analyse sociale du stalinisme. Michéa oublie tout simplement qu'Orwell a été très officiellement un policier pendant sa vie, en Inde avant la guerre de 1914 et que cette carrière de fonctionnaire se prolongera dans un emploi au Foreign Office où il est chargé de rédiger des notes sur les écrivains qu'il fréquente. Orwell veut simplement dire à ses compatriotes qu’ils sont surveillés. Plus loin on lit  p223 :

« Le simple souci d'enrichir son vocabulaire et de parler une langue claire, vivante et précise consistait déjà pour Orwell un acte de résistance politique quotidienne ».

Tu parles Charles !

Sous le pouvoir de Murdoch, dont on peut comparer l'empire de presse News Corporation, au 21°siècle au modèle de « Big Brother » imaginé par Orwell dans son célèbre 1984, le soleil ne se couche jamais. La qualité de la langue importe peu pourvu que ce soit de l’anglais. Et encore page 224 :




« Il était fermement décidé en revanche à combattre de toutes les façons possibles cette perversion du socialisme qui était déjà devenue dominante au moment de sa conversion ».

Comment Jean-Claude Michéa peut-il ignorer le recrutement d'Orwell par la police ? Ça a fait assez de bruit pourtant dans les années 1990. Certes Orwell a changé les conditions de la lutte des classes et notamment l'idée d'une lutte armée de longue durée comme l'ont entreprise les FARC par exemple. Mais Orwell n'a pas aboli la lutte des classes. Il introduit une relativisation des notions politiques de droite et de gauche au sujet desquelles Michéa a de bonnes intuitions mais il les explique mal.


Par exemple J-C.Michéa se rappelle un point d’histoire dans les années 1970 en France qu’il appelle « l’importation dans les sciences sociales du concept bachelardien de rupture épistémologique ». Et en effet les tenants de la coupure épistémologique disaient qu’ils allaient renouveler le marxisme et n’ont réussi en tout et pour tout qu’à remplacer le gaullisme par le mitterrandisme. Quoiqu'Orwell soit « toujours d'actualité » (p 190) il exerce sur son disciple Michéa une mauvaise influence.

Venons-en à la page 242 ou Michéa cite Kautsky :

« en 1892 Karl Kautsky …, en bon marxiste partisan du développement infini des forces productives,......demeurait toutefois persuadé qu'à l'époque de la vapeur et de l'électricité il était impossible de faire refleurir le métier et la petite exploitation paysanne ».

REFLEURIR c’est un verbe bien choisi.

En effet Le forgeron éliminé du village par la disparition des chevaux remplacé par des voitures, refleurira non pas comme forgeron mais comme garagiste. IL AURA CHANGE DE MÉTIER, mais sans rien perdre de la structure de l'entreprise indépendante. Kautsky avait une vision plus dynamique du capitalisme que Lénine. Le capitalisme s'est servi du kautskysme en fondant, développant et portant au pouvoir les partis sociaux-démocrates entre 1900 et 2000 et il s'est renouvelé. Et Michéa se trompe dans son explication page 245 :

« La gauche progressiste se condamne inévitablement à livrer à ses ennemis de droite des pans entiers de ces classes populaires qui ne demandaient pourtant à leur manière qu'à vivre honnêtement dans une société décente.»



Il y a manifestement un double sens dans l'expression de « société décente » que Jean-Claude Michéa traduit de son maitre Orwell en mot à mot « common decency ».


Est-ce que « la société décente » est l'aspiration de la classe ouvrière à devenir petite bourgeoise, ou bien est-ce le fait qu'ayant renoncé aux objectifs révolutionnaires, la gauche s'est mise à parler un langage commun avec le populisme, qu'elle rencontre sur les plateaux de télévision ? Dans ce cas l'expression de « common decency » empruntée par Michéa à Orwell est beaucoup plus proche de l'expression anglaise traditionnelle de « fair play ».


Orwell est cité p 246 dans une note qui met en exergue le terme de « common decency ».

« Si vous m'aviez demandé pour quelles raisons je m'étais engagé dans les milices je vous aurais répondu pour combattre le fascisme et si vous m'aviez demandé pour quel idéal positif je combattais je vous aurais répondu « common decency » ».

C'est là que Michéa fait une confusion.

Il ne voit pas que dans la société anglaise le « fair play » implique le dialogue des extrêmes qui en Espagne pendant la guerre civile s'entretuaient, alors qu'ils ne sauraient le faire que virtuellement dans la société britannique.



Puis Jean-Claude michéa écrit que le capitalisme n'est «pas seulement un système économique mais qu'il constitue en réalité un « fait social total » pour reprendre le terme de Marcel Mauss dont les principes ont fini par irradier toutes les sphères de l'existence humaine».

Son interprétation erronée d'Orwell s'étend alors à une interprétation erronée de Mauss qui est le type même du social-démocrate parfait. Si on devait choisir entre Lénine et Kautsky pour classer Mauss il va de soi que Mauss serait le kautskyste pur et dur le plus parfait. Les écrits de Marcel Mauss contre le bolchévisme résonnent encore dans les esprits. Certains même de lever les bras au ciel en s'écriant : « ah! si au moins on l'avait écouté ! » les partis socialistes et communistes ne se seraient pas séparés au congrès de Tours de 1923 pour se retrouver ensemble en 1981 dans le programme commun de la gauche et en 2012 dans un front de gauche dont le seul programme est de gérer la rigueur.



Ce que veut dire Mauss avec son « fait social total » c’est comme Kautsky que le capitalisme se renouvelle. Ainsi il n’y a pas de moments décisifs d’affrontements entre les classes sociales. Par exemple si le système tue le « sacré » comme on en accuse la société de consommation qui ne respecte plus rien, on peut recréer le sacré, avec des cérémonies, des fêtes et des interdits. De même si le système a provoqué dans une première phase l’exode rural en vidant les campagnes pour remplir les villes, qu’à cela ne tienne ! Rien n’empêche de concevoir des exodes ruraux à l’envers et de vider les villes en renvoyant les gens à la campagne.



Il est faux que le fait social total puisse conduire à la révolution ou même à un autre système social fondé sur le don et tout ce qu’on voudra y ajouter. « Le fait social total » ignore tout de l'environnement et des catastrophes écologiques.

En somme Orwell et Mauss qui sont à peu près de la même génération sont conduits à une critique de la gauche à peu près dans le même sens mais dans le cadre d'une langue (le Français contre l'Anglais) et d'institutions qui sont profondément différentes. La tentative de réunir « le don » et la « common decency » est très artificielle et tout aussi artificiel l'effort pour placer un tournant décisif au moment de l'affaire Dreyfus.



C'est à Orwell lui-même que s'applique le mythe d'Orphée que Jean-Claude Michéa a choisi pour titre. Car Orwell suit ses amis tels que Arthur London qui disparaissent un à un dans les geôles staliniennes. On sait qu’Orwell a fait la guerre d’Espagne. Et on sait aussi que tous les communistes membres des brigades internationales et rentrés en Europe de l'Est vont être emprisonnés et exécutés comme étant des agents de renseignements extérieurs. On peut s'imaginer Orwell voyant disparaître ses amis un par un sous la férule de Staline comme Orphée, un demi-fantôme marchant dans le royaume des enfers sans pouvoir se retourner.


Peut-on étendre ce que nous avons dit d’Orwell à l’ensemble de la gauche française ?


Nous ne le pensons pas et ce pour deux raisons :

  • D'abord l'affaire Dreyfus n'a pas le rôle fondateur que lui donne Michéa.

  • Marcel Mauss est lui-même en réaction contre le rôle que la gauche a joué.




  1. L'affaire Dreyfus n'a pas le rôle fondateur que lui donne Michéa non pas parce que Jean-Claude Michéa se trompe, mais parce que nous lui dénions le droit d'en faire un phénomène durable dans le temps, un acte fondateur qui jouerait toujours aujourd'hui dans la bataille pour la présidence de la république. C’est facile à comprendre. Nous voulons simplement présenter l'idée que la rupture dont nous parle Michéa au sein de la gauche qui fait de la gauche socialiste et communiste une gauche d'alternative électorale noyée dans le nationalisme est vraie pour la guerre de 1914 mais qu'elle ne va pas plus loin que cette guerre. Cette guerre très profonde par le nombre de sacrifiés provoque en retour du nationalisme des gauches une autre rupture et le nationalisme ainsi créé par Jaurès n'aura plus jamais l'occasion de s'exprimer.



  1. Orwell ne peut pas compléter et changer la pensée de Mauss à la façon dont Michéa les met en perspective tout simplement parce qu’Orwell a une bien meilleure connaissance de l’anthropologie britannique que Mauss lui-même. Orwell né aux Indes formé à Eton à un accès direct à Frazer, Radcliffe Brown Seligman et surtout Malinowski que Mauss enfermé en France justement par les dérives de la guerre en 1914 1918 ne découvre que très tard au cours des rares voyages qu'il fera en Grande-Bretagne et aux USA. Donc le concept principal dont Michéa s'inspire chez Orwell et qu'il appelle Common Decency n'a qu'un rapport lointain avec le don et ni le don ni la common decency ne sont susceptibles de faire échapper la gauche à ce destin nationaliste et à cette dérive fasciste que Michéa lui reproche de suivre comme Orphée aux enfers qui ne peut pas revenir en arrière.



Sur cet événement politique nous aimerions encore faire une dernière remarque qui n’est pas en opposition cette fois avec le mythe d’Orphée. Car d’un certain point de vue Michéa a raison de dire que le nationalisme qui s’est construit au lendemain de l’affaire Dreyfus ne s’est jamais démoli qu’il est revenu au pouvoir avec Mitterrand et qu’il trouve dans Ségolène Royal une nouvelle expression. Ce n'est pas faux de dire que les voix du Front National sont autant à la gauche qu'à la droite. La gauche avait déjà su les récupérer entre les deux guerres avec Déat et Doriot et la collaboration de Vichy doit autant aux nationaux-socialistes qu'à la faiblesse politique des hommes de droite traditionnels.


Cependant on ne peut pas considérer pour rien ceux qui au vu de ces tendances ont violemment réagi. Il y a des oppositionnels anarchistes, humanistes, trotskystes et communistes au nationalisme de gauche.


Meleze


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