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Achille et la tortue
10 septembre 2011, par Bouchta Essette

Quand Zénon d’Elée conçut son paradoxe d’Achille et la tortue, c’était pour soutenir philosophiquement la doctrine de Parménide selon laquelle le mouvement est impossible. Notre intention n’est certes pas de revenir sur une question largement débattue par les différentes doctrines philosophiques à travers les âges, mais de chercher à éclairer un fait d’actualité en empruntant à Zénon et ses protagonistes et le pari auquel ils se sont livrés, avec une légère modification toutefois, de telle sorte qu’il nous sera permis de comprendre les paradoxes de notre temps, non pas des paradoxes relatifs aux conceptions philosophique, esthétique ou littéraire, mais aux paradoxes pragmatiques qui ont un impact sérieux et dramatique sur la vie de tous les jours de l’homme du 21ième siècle. Si pour Zénon c’est Achille qui , infatué de lui-même et de sa célérité, a proposé à la tortue de prendre sur lui une distance déterminée dans la course, ce qui lui permettra d’éprouver ses capacités en essayant de la rattraper dans un temps record, il nous a paru nécessaire, pour la commodité de la démonstration, de renverser les positions, ce qui fera du couple Achille / la tortue, non seulement un paradoxe, mais bien plus, un paradoxe absurde, si tant est que ce n’est plus Achille qui défie la tortue en lui concédant une avance dans l’espace, mais ce sera la tortue qui, absurdement, proposera à Achille de prendre sur elle cette avance . Quelque paradoxale et absurde que cette situation paraisse, il n’en reste pas moins que, c’est cette même caractéristique, absurde et paradoxale qui se dégage de l’attitude de la société humaine quant au génocide orchestré magistralement et ostentatoirement par le régime El Assad à l’encontre du peuple syrien. Absurde et paradoxale en effet est l’attitude de la communauté internationale qui, de manière effrontée et sadique, laisse faire un régime bon à classer dans les archives des entités lèse humanité. Si l’absurde signifie le non- sens et l’inexplicable, il est tout à fait légitime de considérer la communauté humaine comme absurde et incompréhensive, pour la simple raison qu’elle se livre à des calculs mesquins où seul prime l’intérêt matériel. Assister quotidiennement à des massacres systématisés, exercés sur une population démunie est une honte. Laisser faire une horde de sanguinaires qui, au nom de la loi, se permet toutes les exactions, toutes les folies, pour rétablir soi-disant l’ordre est probablement un crime plus atroce et plus répréhensible que le crime lui-même, du fait que cette communauté que seule guide la passion du gain et de l’enrichissement fait acte solennel du mépris pour la gent humaine, non pas toute l’espèce, mais juste celle qui aspire à la liberté et à la dignité, cette population qui regroupe les laissés pour compte qui ont finalement osé hausser le ton pour clamer haut et fort ce qu’avant, ils pouvaient à peine penser dans le tréfonds d’eux-mêmes des siècles durant, cette infra-population qui a finalement voulu voir la clarté de ce monde dont elle a toujours été privée, et a osé demander des comptes à cette minorité d’opportunistes qui cherchent égoïstement à s’accaparer les richesses de leur pays. Le crime des uns égale celui des autres. Il n’y a pratiquement aucune différence entre celui qui tue et celui qui voit tuer sans réagir. Cela fait, en effet, plus de six mois que le régime El Assad massacre sans pitié une population dont il veut faire un troupeau inconscient, des esclaves soumis ou de simples bêtes de somme, un parangon de la servitude. Cela fait une éternité que le régime militaire d’El Assad, non seulement tue, ce qui aurait été sans conséquence tragique, du fait qu’une mort rapide serait la bienvenue, surtout si elle est vue à travers une optique stoïcienne, mais sème la souffrance qui, elle, est durable, atroce et insupportable, et ce à travers des pratiques inhumaines et sauvages, en estropiant des membres, en bafouant des dignités, en empoisonnant des espérances, en cultivant la haine, en déshumanisant les humains. On ne s’arrêtera pas outre mesure sur les crimes commis par El Assad et ses acolytes, le monde en a eu, durant plus de six mois, des démonstrations éloquentes. En cela il aura été (pour le moment) un Achille irrattrapable, parce qu’aucune volonté humaine n’a pu le dissuader. De ce fait, celle-ci, c’est-à-dire la communauté internationale, aura été l’illustration de cette malheureuse tortue qui, non seulement se distingue par sa tare congénitale qui se résume dans sa lenteur, mais a eu la prétention de s’attribuer des qualités qu’elle ne pourra pas avoir, en prétendant avoir la possibilité de rattraper un Achille qui a non seulement brûlé les étapes, mais aussi tout ce qui lui résiste et se met en travers de son chemin. Certes qu’a fait la communauté internationale ? On s’est contenté de stigmatiser, mais de manière bien timide. Commençons par voir l’attitude de la ligue arabe. Etait-il nécessaire d’attendre des mois et des mois, après que El Assad a massacré plus de deux mille victimes, mutilé plus de vingt mille et emprisonné plus de dix mille, sans oublier les innombrables réfugiés qui ont été obligés de tout abandonner pour sauver leur peau ? Pour un lecteur qui a besoin de l’illustration du burlesque, il n’y a pas mieux que de le débusquer dans la démarche entreprise par la Ligue arabe qui a décidé de dépêcher son chef afin de proposer au régime syrien une démarche (sur laquelle il est inutile de revenir, du fait qu’elle sera absurde et partant non avenue) qui permettrait de faire sortir le pays de la crise dans laquelle il s’est enlisé. Alors que le bon sens aurait dicté au représentant de cette Ligue de déclarer le régime d’El Assad hors-jeu, de prendre le parti du peuple qui représente la victime, de compatir à ses douleurs, de l’aider à se débarrasser de ce monstre qui se repaît de sa chair, au lieu de cela, il cherche à sauver un régime qui est, de toutes les façons, déjà condamné à périr, en essayant de lui insuffler une légitimité qui l’a déjà boudé, oubliant cette évidence téléologique monumentale selon laquelle le Syrien à identité déterminée , quel qu’il soit (fût-il un chef d’Etat), et quelles que soient les tournures que prendront les événements, est fatalement voué à la disparition, alors que la Syrie survivra quel que soit l’aboutissement de ce génocide.

Quant à l’attitude du monde occidental subsumée par la position des Etats unis à travers son Obama, elle est plus que cocasse. Certes, on n’est plus surpris par la partialité des Américains ; l’Histoire nous a enseigné à maintes reprises les multiples paradoxes qui entachent leurs actions, et ce en fonction de l’implication ou de la non implication de leurs intérêts matériels, politiques et stratégiques. Obama a gardé le mutisme pendant des mois au cours desquels les Syriens ont subi les pires des atrocités avant d’être contraint à stigmatiser le régime El Assad. Faut-il rappeler que la réaction tardive d’Obama n’est nullement motivée par une prise de conscience qui l’aurait poussé à défendre les opprimés comme cela peut arriver dans les grandes Nations, mais, ayant compris que pour les Syriens les choses sont définitivement irréversibles, il aurait adopté cette volte-face machiavélique qui le positionne du côté du vainqueur. Le cocasse d’Obama se lit avec plus de netteté dans sa réaction, après l’invasion de l’ambassade d’Israël au Caire par les Egyptiens dans la nuit du 9 décembre. Alors là, Obama, d’une tortue molle, lente, asthénique et aphasique, il devient un Achille loquace et prompt comme l’éclair quand il s’arroge le droit d’ordonner aux militaires égyptiens au pouvoir, au nom de conventions internationales en usage, de veiller sur la sécurité de l’ambassade d’Israël, avant même que les Israéliens aient eux-mêmes formulé ce vœu, jugeant la situation extrêmement préoccupante. Obama, plus juif que les juifs, le personnage cocasse et burlesque, cela se confirme chaque jour un peu plus, se fait du mouron, quoi ! panique pour quelques paperasses qui ont volé dans l’air de la nuit, alors qu’il y a quelques jours à peine, auparavant, il a gardé le silence devant le crime des soldats israéliens qui ont abattu froidement des militaires égyptiens. Défendant le papier juif, méprisant et condamnant l’humain arabe, Obama est un type versatile qui a perdu sa crédibilité ; en fonction des enjeux où il y va de l’intérêt des Américains, il se fait ou Achille ou la tortue, ou le samaritain ou le méchant. Mais à cause de cette duplicité ou de cette « lente-rapidité », Obama a appris aux Egyptiens l’art de détester, a appris involontairement au monde l’art de distinguer le dire et le faire, la subtilité à lire le vrai et le faux. L’Egypte s’est libérée de son monstre qui a assuré la sécurité d’Israël pendant plus de trois décennies, monstre qui s’est heureusement éclipsé, effondré pour laisser monter à la surface ce sentiment de haine que le sionisme a alimenté dans le cœur de ce peuple, de par son arrogance et son mépris pour tout ce qui n’est pas sionisme. La haine comprimée par l’Egyptien lui a donné une force si vive qu’il se dit prêt non seulement à chasser les sionistes de l’Egypte, mais aussi à les poursuivre jusqu’à Tel-Aviv, n’usant, pour les déchiqueter, que de la force de ses mains et de ses dents. Le paradoxe de Zénon est un leurre comme est leurre cette notion qui prêche l’immobilité et le statu quo, car le monde est un feu ravageur et organisateur, il est la mobilité et la transformation. Les potentats de quelque océan qu’ils débarquent doivent comprendre que ce qui a un commencement va avoir une fin, que rien n’est éternel et que tortue ou Achille, on ne se baigne jamais dans le même fleuve. Et si El Assad a eu des complices qui lui ont donné la possibilité d’endosser l’Uniforme d’Achille, les Syriens, eux vigilants et solidaires, ont plus d’une ruse à leur actif, pour lui subtiliser cet uniforme et lui substituer la carapace molle et fragile de la tortue.

Bouchta ESSETTE

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