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Le Scelus nefas
22 août 2011, par Bouchta Essette

Le Scelus nefas

Les multiples événements que nous rencontrons au quotidien, pour la plupart inexplicables, nous incitent à reposer les éternelles questions : qui sommes-nous ? De quelle substance est faite la nature humaine ? L’homme est-il corps, est-il âme, est-il les deux à la fois, ou n’est-il ni ceci ni cela ? Autant d’interrogations qui taraudent l’être humain qui, à travers les âges, cherche toujours à s’amender. Selon les religions révélées, l’homme est appelé à aimer son prochain, bien plus, il est même appelé à préférer les autres à soi-même en faisant prévaloir, selon des soi-disant altruistes, leurs intérêts avant les siens.

Si tel était le cas, l’homme serait tout simplement lui-même, c’est-à-dire porté, grâce à son abnégation et à l’effacement de soi, à promouvoir une société qui tend de plus en plus vers son perfectionnement. Depuis l’aube des temps, penseurs, philosophes, hommes de lettres auraient clamé de tels principes. On en parlait, on épiloguait sur, rien à faire, l’homme est dans le fonds resté toujours le même, parlant, espérant, projetant, établissant des programmes et des projets. Or comme le souligne à juste titre M. Blanchot, le langage est l’expression de l’absence et de la privation. Bien plus, par son biais, on est en mesure de rendre compte du tragique de la condition humaine. Car, en pratique, on ne parle pas souvent de ce qu’on a, mais de ce qui nous manque. Et quand ce manque nous fait très mal, quand ce qui nous manque est irréalisable, non seulement on en parle, mais on le chante, si tant est que le chant et la mélodie sont une parole sélectionnée, privilégiée à laquelle on recourt pour marquer avec plus de netteté l’intensité de ce manque. On chante notamment l’amour, l’amitié, la santé, la sincérité, l’altruisme, la vérité, la paix… On chante constamment ces valeurs dans toutes les langues, dans tous les dialectes, parfois même dans tous les silences. Et si ces thèmes universels défraient toutes les chroniques, c’est probablement parce qu’ils relèvent d’un univers si loin de notre portée, un monde idéel et platonicien vers lequel on tendrait de tout notre être, dans un effort de réminiscence afin de réaliser cette osmose avec ce à quoi notre âme serait initialement liée.

Hélas, dans les faits, l’homme n’a de l’humanisme que le nom, Ce qu’il chante, ce dont il parle est malheureusement l’antipode de ce qu’il est, de ce qu’il fait en réalité. Les valeurs et les vertus qu’il chante ne sont tout au plus que l’expression d’une abréaction qui a pour fonction de le débarrasser des vices qui l’étouffent : la haine, l’inimitié, la maladie, la félonie, l’égocentrisme, l’erreur, la guerre…

Voilà les véritables propriétés de l’homme : tuer au figuré comme au propre est son sort véritable, à moins qu’il ne soit dissuadé par des forces convaincantes. Dans ce cas seulement on fait parade de vertus factices, on se contente de se regarder les uns les autres, en chiens de faïence. Dans le livre II de La République, Platon souligne le rôle de ces forces dissuasives : « Lorsque mutuellement les hommes commettent l’injustice et la subissent et qu’ils goûtent des deux états, ceux qui ne peuvent point éviter l’un ni choisir l’autre estiment utile de s’entendre pour ne plus commettre ni subir l’injustice. De là prirent naissance les lois et les conventions ». Et pourtant, que ne fait-on pas pour contourner ces lois et ces conventions ? Que n’invente-t-on pas pour les fouler aux pieds quand on est placé sous l’empire des passions aveugles ? On tue, allègue-t-on, pour ne pas être tué, comme si l’entente entre l’être et son semblable était impossible. On est méfiant à l’égard d’autrui qui nous juge et nous tue par l’atrocité de son regard parce qu’il a peur qu’on le tue. L’enfer, c’est forcément les autres à la fois semblables et différents. Les figures mythiques et allégoriques sont édifiantes à cet égard : Ouranos aurait tué ses fils les Cyclopes puis les Titans de peur qu’ils ne le tuent, Cronos aurait voulu faire la même chose avec son fils Zeus après avoir avalé ses autres enfants. Œdipe a tué Laïos qu’il n’avait pas reconnu, Tantale a tué Pélops, Atrée ses neveux, Médée ses fils, Néron sa mère, Caligula aurait tenté d’empoisonner Tibère, son aïeul adoptif, et l’aurait, selon Suétone, étouffé sous des coussins etc... Il faut être sous l’emprise de la fureur et de la folie pour commettre ces scelus nefas qui sont légions dans l’Histoire au pluriel.

Tuer, à la limite, serait compréhensible quand c’est véritablement l’ultime solution, quand il s’agit de tuer, par nécessité, l’autre, le différent. Mais quand il s’agit de tuer l’autre, le semblable et le parent, pour quelque raison que ce soit, on est en mesure de s’interroger sur la nature de l’homme, sur les motivations de son atrocité, de sa sauvagerie. L’humain n’a rien à envier au mythique. L’histoire contemporaine nous offre une infinité de tueurs hors pair, une myriade de chefs d’Etat dont les règnes, quasiment inénarrables ne sont que déraison, fureur, débauche, perversion, crimes, orgies sanglantes…, incarnant ainsi la condition humaine misérable, absurde et tragique, une condition dégradée, réduite à ses impulsions animales et à ses inclinations vampiriques. Si un jour, pour les sociétés à venir, on se mettait à enseigner dans les écoles et les universités un chapitre de l’histoire de l’humanité, afférent aux scelus nefas, et qu’on citait des prototypes comme Kaddafi et Assad qui auraient massacré des milliers de leurs enfants, c’est-à-dire de leurs peuples, ces personnalités gargantuesques ne devraient pas figurer comme de simples exemples dans un cours de rhétorique, illustrant cette figure de style dite « adynaton » , mais bel et bien de véritables sanguinaires qui n’ont ménagé aucun effort, ni fausse rhétorique, ni non plus un armement de tout genre et de tout calibre pour pulvériser Libyens et Syriens.

Quel président ne s’est-il pas pris métaphoriquement pour le père de sa nation ? Quel chef d’Etat ne s’est-il pas proclamé le garant des intérêts de son peuple ? Quel président ne s’est-il pas promis de sacrifier son temps, son bien-être, ses intérêts personnels au profit de ses enfants, c’est-à-dire son peuple ? Hélas ! Entre le dire et le faire, il y a autant de distance qu’entre le ciel et la terre. Car quand les Libyens et les Syriens avaient ressenti le besoin de vivre libres comme un Kaddafi et un Assad, alors ces présidents hors du commun qui se croyaient être les seuls au monde à jouir de la liberté et des privilèges incommensurables, les ont tout simplement massacrés : être libres, faire ce qu’ils veulent, libérer complètement leurs fantasmes, satisfaire inconditionnellement leur ego, mépriser les autres, les asservir, les animaliser, les priver de leurs biens et les tuer au besoin, pour tout cela, Kaddafi et Assad ne seront pas moins atroces ni egocentriques qu’un Tantale ou qu’un Néron. Pour se maintenir au pouvoir et le transmettre aux leurs, ils sont prêts à tuer toute la Libye, toute la Syrie. Ces deux leaders considèrent les autres, Arabes et Occidentaux confondus, comme des intrus qui s’immiscent dans leurs affaires internes. S’ils étaient livrés à eux-mêmes et à leurs peuples démilitarisés, ils auraient, au bout de quelques mois, anéanti l’ensemble de ces rebelles. Heureusement, l’intervention de la communauté internationale, notamment en Libye, a limité les dégâts, en permettant aux rebelles de se défaire de leur peur en osant affronter ce monstre qui les a muselés pendant de très longues années.

Le propre d’un potentat sanguinaire, tueur de ses enfants est de se croire le seul au monde à être doué de facultés raisonnables, le reste n’étant qu’une sous-humanité dont le seul rôle est d’être toujours aux aguets pour le servir. Aussi est-il toujours juché très haut, loin de sa populace, ces sujets aussi bien les fidèles que les infidèles ; s’il choisit toujours un espace surplombant une foule reléguée dans un espace en creux, comme en bas-relief, c’est pour marquer à la fois son unité et son unicité déifiées. Kaddafi a mis à sac toute la Libye dont il ne reste plus que des vestiges qui témoignent d’une atrocité inégalable. Assad n’a rien à envier à son pair Kaddafi ; tout aussi siphonné que lui, il excelle dans l’art d’inventer des situations inédites en attribuant à des fantômes des actes sanguinaires que ses soldats commettent de la manière la plus froide et la plus cynique. L’un et l’autre, rivalisant en bêtises voyantes, rendent responsables des étrangers imaginaires de tous les malheurs que vivent leurs peuples pacifiques et innocents. L’envie et la jalousie incitent leurs ennemis à tout mettre en œuvre pour préserver la tranquillité qu’ils ont eu du mal à instaurer dans leurs pays respectifs ; voilà le genre de sornettes qu’ils ne cessent de ressasser pour tenter de justifier leurs crimes abominables. En effet, si Kaddafi accuse les rebelles à qui il reproche de se mettre à la solde d’une puissance étrangère, Assad, intellibêtement, cherche à nous faire accroire que s’il a sorti ses chars et ses blindés, c’est pour pourchasser des terroristes venus de loin pour menacer la sécurité de ses sujets qui expriment librement des revendications somme toute légitimes et qu’il essaiera de satisfaire à la Saint-Glinglin. Personnages héroï-comiques à l’instar d’un Frère Jean rabelaisien, Assad est tout simplement cocasse et Kaddafi tout simplement grotesque. Curieuse logique démonstrative que l’un et l’autre rivalisent à employer.

Atroces scelus nefas que ceux commis par ces potentats sanguinaires que sont Kaddafi et Assad. Leur obstination à ne pas voir la vérité, pourtant aveuglante, justifie leur diabolique réalité : c’est qu’ils ne sont rien, plus rien depuis qu’ils ont fait couler le sang de leurs premières victimes. Ils n’ont pas compris que si l’on peut tuer des individus et les neutraliser, on ne peut jamais tuer un peuple. Celui-ci est un phénix qui a la capacité de renaître toujours de ses cendres. Les individus sont périssables quand le peuple est éternel. Tout dieux qu’ils étaient, Ouranos et Cronos, n’ont-ils pas été punis pour les crimes qu’ils ont commis ? Kaddafi et Assad, échapperaient-ils à cette loi fatale et implacable, à cette espèce de Moïra qui leur demandera des comptes pour les scelus nefas qu’ils ont commis ?

Bouchta ESSETTE

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