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Semprun sans nous
10 juin 2011, par Serge Uleski

Semprun qui vient de nous quitter (et que l’on avait, quant à nous, déjà oublié depuis longtemps), souhaitait que les générations nées après 45 s’approprient les camps, la déportation, l’horreur du nazisme, le mensonge du Stalinisme...

On lui répondra : "Pour ça, il y a Arendt... et c’était dans les années 50 et 60".

Tout en poursuivant : "Mais... qui, en revanche, nous aidera à penser le nouvel enfer qui nous attend d’ici 2050 ; un marché mondialisé triomphant qui aura tout emporté : Etats, démocratie, nations, peuples, liberté, indépendance."

Car le vrai danger c’est bien la libéralisation des marchés financiers, l’hyper-mobilité des capitaux et la désintégration des processus de production ; des milliards d’êtres humains livrés à la logique d’un monde économique, un monde sans morale et sans esprit autre que mercantile et qui, à terme, n’habiteront plus aucun monde.

Et ce totalitarisme-là, sous notre nez, dans notre vie, chaque jour, sur tous les continents, Semprun et les autres semblent totalement l’ignorer sous prétexte que cette menace n’a pas encore creusé au grand jour ses fausses communes, bâti ses camps... comme si seules l’architecture et la technique déterminaient la présence ou l’absence d’une pensée, d’une organisation de l’existence totalitairement arbitraire, liberticide et criminelle...

Qu’ils aillent donc faire un tour dans nos banlieues, nos écoles, dans nos hôpitaux psychiatriques, dans les tribunaux, les prisons, les entreprises...

Qu’ils recueillent donc les paroles des médecins du travail, des juges de la mafia économique et financière, des bénévoles d’associations luttant contre la pauvreté et l’exclusion...

Qu’ils questionnent donc les artistes, les auteurs et les activistes censurés, muselés, interdits de production et de distribution, médias aux portes fermés...

Confronté à cette nouvelle donne (qui trouve et prend racines à la fin des années 70, quand même !), Semprun est en panne ; et toute sa génération, avec lui, à l’exception de quelques uns...

Aussi…

Rien d’étonnant que seuls ceux qui n’ont de cesse de discourir sans fin autour du fascisme, du nazisme et du stalinisme soient ceux qui ne tarissent pas d’éloges à l’endroit de Semprun.

Et si ceux qui ignorent l’Histoire sont condamnés à la revivre – même si cette dernière a bien plus d’un tour dans son sac -, de même sommes-nous autorisés à affirmer que ceux qui ne réfléchissent qu’au passé courent le risque de passer à côté du présent ; présent qui pourtant porte en germe le futur ; notre futur à tous : ses catastrophes et ses démons.

Et aujourd’hui bien plus qu’hier, depuis que les Maîtres du monde ont la prétention de nous concocter un monde qui, chaque jour, avance et invente, comme il va, de nouvelles raisons d’espérer, ou bien d’autres raisons de s’inquiéter ; un monde tel une horloge que l’on remonte à chaque minute et à chaque heure et sans laquelle, aucune heure, ni bonne ni mauvaise, n’est envisageable - ou bien la même heure pour tous ; et là, gare aux retardataires ! ; un monde donc… au passé dépassé par des événements toujours imprévisibles ; passé stérile et caduc, assurément.

On n’a jamais autant trucidé d’êtres humains depuis que l’Histoire occupe les salles de conférences, les amphis, les bibliothèques, les médias et nos consciences maintenant saturées d’un passé qui a pour seul enseignement : son propre passé, laissant le présent et l’avenir sur le bas-côté.

Là encore, rien d’étonnant à cela : les entreprises de destruction massive ne se décident pas en Sorbonne ni à la Mutualité.

Sans oublier le fait que les protagonistes concernés par ces récits d’une Histoire qui n’a rendez-vous qu’avec sa propre histoire sont tous nés dans les années 20 et 30 ; et ce n’est certainement pas leur faire injure que d’en déduire qu’il se pourrait bien qu’ils aient eu tous, et très tôt, leur avenir derrière eux. Ceci expliquant sans doute cela.

Et quand d’aventure, ces mêmes hommes daignent se pencher sur nous, pauvres contemporains sans passé utile et sans avenir probant, c’est pour mieux affirmer, tel Semprun, et à titre d’exemple, que la classe ouvrière a bel et bien disparu... et que le Marxisme, la lutte des classes... tout ça…

.

Pour un homme de gauche… c’est dire ! C’est... tout dire ! (Semprun s’était très certainement alors rapproché du PS ; meilleure façon de ne plus rien penser sur rien. La contagion... la contagion...)

***

La postérité ?

A la vue de Semprun, on peut craindre et d’autres souhaiter qu’elle détourne son visage pour mieux s’empresser de regarder ailleurs, plus loin aussi, et plus haut... finalement.

Qui la blâmera ?!

Car, il est grand temps de préférer le devin-prophète à l’historien-littérateur ; une lecture du présent dans lequel on pourra y lire tous les dangers de l’avenir aux commentateurs-témoins-ressasseur d’un passé miroir de sa propre image, impasse et cul-de-sac, tout à la fois.

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