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Rien de trop
27 avril 2011, par Bouchta Essette

Rien ne semble dissuader les mauvaises consciences qui refusent de comprendre la logique de l’histoire. Le monde arabe est de plus en plus soumis à de fortes pressions qui le secouent de l’intérieur. Les peuples disent une chose, les dirigeants disent le contraire. Rien ne semble être en mesure de les conjoindre, bien au contraire tout concourt à les séparer. Et pour cause, les dirigeants du monde arabe ont, depuis l’accession de leurs pays à l’indépendance et au pouvoir, acquis de très mauvaises habitudes. Les peuples étant fortement grisés par les nouvelles saveurs des indépendances, se sont retirés de la scène politique, faisant confiance et plaçant leurs espoirs en des leaders qu’ils croyaient capables de remplacer rentablement les colonisateurs. Les sacrifices qu’ils avaient ensemble consentis, les brimades qu’ils avaient ensemble supportées, les excès dont ils étaient ensemble victimes, en somme toutes les vicissitudes vécues ne devaient laisser aucune place à la trahison de quelque côté qu’elle puisse venir. De fait, un frère n’est jamais l’ennemi de son semblable, ce qui agrée à l’un doit agréer à l’autre, et ce qui est nuisible à l’un doit l’être forcément à l’autre. Un frère n’a jamais ou ne doit jamais trahir son frère ; Voilà probablement ce que devait se dire le peuple arabe à l’aube des indépendances. Et voilà ce qui explique probablement son désintérêt pour la question politique.

Malheureusement, les choses n’arrivent presque jamais comme on le souhaite. La déception est sans doute le revers de la griserie. Un simple métaplasme réduirait le mot « griserie » au « gris » qui se complique et devient « sombre », voire « noire ». En effet, le leader arabe qui a constaté la vacuité de la scène politique ne pouvait succomber à la tentation égocentrique. Un peuple qui se soustrait volontairement, qui se passe volontairement les chaines, pourquoi donc ne pas l’enchainer ? Et s’il est masochiste, s’il doit se complaire dans la soumission et la servitude, s’il est gagné par la nostalgie de l’ère coloniale quand il se contentait de répéter à longueur de journée « oui Monsieur, oui Madame, à votre service Madame, à votre service Monsieur », pourquoi l’en priver ? Chassez le naturel, il revient au galop, doit a fortiori penser le leader arabe, le peuple qui s’est vautré dans l’ignorance et la servitude volontaire est loin d’être majeur, il n’a pas le droit de cité, il est incapable de gérer sa liberté, il ne pourra donc pas comprendre ce que c’est que la démocratie, encore moins la pratiquer, sa place est par voie de conséquence à l’arrière-scène, dans les bas-fonds de la société, il n’a pas besoin d’un tuteur, Voilà un raisonnement ad rem qui doit réconforter le leader dans ses incessantes maladresses et l’encourager à multiplier les maltraitances à l’égard de celui qui était naguère son égal, son frère et son semblable.

S’étant assuré de la neutralité de son ex-compagnon, de son ex-égal, ayant le sentiment de l’avoir littéralement et définitivement enchainé, le leader arabe, complètement obnubilé par son égo, ne se rend plus compte qu’il le sera dorénavant, lui-même. Laissé seul devant une responsabilité qui le dépasse, il ne lésinera sur rien pour compenser ses tares et ses insuffisances, il plongera jusqu’au cou dans les plaisirs de toutes sortes les illicites plus que les licites pour édulcorer ses travers et noyer ses chagrins, se fixera un seul objectif qui, croit-il, l’immunisera contre tous les aléas et imprévus susceptibles d’entraver son ascension : l’accumulation du maximum de richesse possible. Avec ces biens terrestres devant lesquels aucune âme sensible ne peut être indifférente, il croit détenir les rênes du monde qu’il pense pouvoir diriger à sa guise. Esseulé de la sorte, il se gonfle outre mesure, quand, à ses yeux, les autres deviennent des êtres minuscules, taillables et corvéables à merci. Cela le rassurera d’autant plus dans ses excès que les temps qui s’écoulent, identiques à eux-mêmes, joueront en sa faveur, du simple fait que rien, apparemment rien, ne pourra plus ébranler la solidité du royaume qu’il a mis suffisamment de temps à construire. Ne voyant plus le monde qu’à travers cette optique, se croyant qu’il est définitivement élu par Dieu pour présider à la destinée de toute cette misérable humanité qui a depuis longtemps bercé son ego par ses sempiternelles prosternations, croyant son monde définitivement à l’abri du spectre du changement, il ne pouvait jamais se douter, pas même un instant, que ce calme peut être précaire, que cette eau qui dort, il n’en est pas de pire, et que de toutes les façons, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Par conséquent, aussi calme que ce monde puisse paraître, il y aura toujours la possibilité d’assister à des tempêtes imprévues, à des changements irréversibles.

Le grand malheur du leader politique arabe c’est de ne pas lire l’Histoire, c’est de ne pas comprendre que tout est voué fatalement au changement, et que quelques mesures qu’on ait pu prendre pour y faire face, si ces mesures ne sont pas adéquates et justifiées, elles seraient caduques et ne protégeraient pas contre l’irréversible. Oui, on comprend bien sa myopie et son manque de discernement. Il est vrai que pour quelqu’un qui pendant plusieurs années a donné des ordres qui étaient souvent exécutés avant même qu’ils ne soient formulés, à qui personne ne devait montrer ses torts, à qui tout le monde signifiait que ses prières étaient des demandes, que ses demandes étaient des ordres et que ses ordres étaient des exécutions, devant qui il était sage de ne jamais se tromper, encore moins de lui faire sentir, de quelque allusion que ce soit, qu’il s’est lui-même trompé, quand partout où il se rendait, c’était le paradis, que ce qu’il disait c’était la Vérité, Que ce qu’il pratiquait c’était la Justice et la Justesse, en somme qu’il était en quelque sorte la divinité chtonienne à vénérer, comment voulez-vous qu’après tant d’années l’on puisse lui dire que les temps ont changé, que le pouvoir ne peut être attribué éternellement à quelqu’un, que tout le monde peut se tromper, fût-il un chef d’État, que ce qui était vrai dans le temps peut s’avérer faux actuellement, que quelque divin qu’on veuille paraître, on ne pourra jamais nier son être qui, de toutes les façons, est de nature humaine, et que si tel est le cas, et parce que l’erreur, c’est connu, est humaine, alors il doit s’être trompé mille fois dans sa vie et que, si on ne le lui a pas fait remarquer, c’est tout simplement parce qu’on lui a menti.

Toutes ces vérités, le leader arabe ne peut pas les comprendre, ne peut pas les admettre. Car, s’il y a une vérité, cela ne peut être que sa Vérité. Comment oserait-on créer une vérité qui n’émane pas de lui ? Qui oserait lui disputer ses prérogatives ? Aussi, le leader arabe n’admet-il pas l’opposition. Lui, qui était partout applaudi à tue-tête, accepterait-il pas qu’on vienne lui faire des propositions qui risquent de froisser son ego et sa susceptibilité ? Quand Kadhafi a vu enfin naitre une révolution qui a très vite pris de l’ampleur, il était comme tétanisé. Comment cela se peut-il, avec le roi des chefs d’Etat africains et leur doyen ? Cela ne peut pas être, ce ne sont que des illusions. Mais comme il a eu les yeux dessillés, et parce que pour lui, paradoxalement, toute possibilité de se tromper est magistralement scotomisée de sa conscience, alors ce sera la pratique de la fuite en avant et l’usage du faux. Cette tactique a été employée par Ben Ali en Tunisie, sans résultat, par Moubarak en Égypte, c’était le même fiasco, ell est pratiquée aussi, par Abdellah Saleh au Yémen et par Bachar Al Assad en Syrie. Ces trois derniers reproduisent les mêmes bêtises, parce qu’ils sont mus par la même mégalomanie. Ils oublient que souvent les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets et que si cet adage s’avérait sensé, il n’y a pas de raison que ces trois leaders ne connaissent pas le même sort. En effet ne répètent-ils pas tous à l’unisson que leurs peuples sont pacifiques et que s’il y a des manifestants, ce ne peut être que des mercenaires étrangers qui sont stipendiés par les ennemis de la nation qui cherchent, soit à s’accaparer les richesses de la nation, soit à miner le pays pour le punir en raison de son opposition au projet expansionniste du sionisme, soit à installer un régime islamiste à la solde de Ben Laden. Autrement dit, le leader arabe est prêt à inventer toutes les explications possibles et imaginables, même les plus cocasses et les plus saugrenues, pourvu qu’on ne cherche pas à lui faire comprendre que c’est lui qui en est le véritable responsable, que c’est son régime politique basé sur la discrimination et l’injustice, sur le mépris et l’exploitation, sur l’enrichissement de l ‘Un et l’appauvrissement des autres, sur la pratique systématique de la terreur et de la violence, sur le népotisme et la concussion, sur la corruption du système policier et son exploitation dans des opérations mafieuses. Pourvu qu’on ne l’accuse de rien, lui si propre comme une lamie ou comme un peigne, qu’on ne le contredise pas, lui si éloquent comme un bègue. Le problème de la société (arabe), c’est non seulement de trop épiloguer avec ces dictateurs mégalomanes pour qui rien n’existe en dehors d’eux-mêmes, car toute tentative dans ce sens s’avère inutile, mais le plus absurde et le plus incompréhensible, ce sont les deux pratiques courantes auxquelles on recourt souvent pour soi-disant résoudre les problèmes et désamorcer la situation dans ces pays en crise. La première, c’est le recours à la police et à l’armée pour nettoyer les prétendus corps étrangers qui enveniment le pays, la deuxième pratique, c’est la médiation entre le peuple et son leader.

Au regard de la première pratique, il est regrettable que les deux corps : De la police et de l’armée dans les pays arabes ne soient pas suffisamment formés pour assumer leur rôle dans les limites de la normalité. En effet il est déplorable qu’un policier se mette à tirer sur des civils désarmés qui sont forcément les siens (un concitoyen, un voisin, un cousin, un frère…), non pas parce qu’ils sont des criminels, mais parce qu’ils ont dit non à l’asservissement, oui à la liberté. Est-ce pour cela qu’on tue des milliers de gens en Libye, au Yémen et en Syrie ? Quant au corps militaire, que l’on sache, un soldat est par définition chargé de défendre le pays contre l’agresseur étranger. Un soldat est celui qui protège les siens, non celui qui les bombarde avec des missiles, des obus ou même des avions, leur seul crime étant d’avoir dit non à la tyrannie, oui à la liberté et à la dignité. Un policier ou un soldat est avant tout un citoyen qui doit avoir toute la conscience nécessaire pour agir conformément à la loi et non en fonction des fantaisies et des folies de ses chefs. Un policier consciencieux est pratiquement un antidote à la tyrannie. Pour peu qu’un policier ou qu’un soldat se mette quelque peu à raisonner, il comprendra qu’il est difficile de comprendre que l’on doive tuer des centaines de personnes pour maintenir Un zaim ou Un raiss au pouvoir. Une vie humaine épargnée, ne vaut-elle pas mieux que le maintien d’un individu au pouvoir, fût-il l’intégrité elle-même ? Un Gbagbo vaut-il les centaines de personnes tuées et les centaines condamnées à l’exil ? Un Kadhafi et sa progéniture valent-ils mieux que les milliers de Libyens massacrés, les milliers expulsés de chez eux, dépossédés de leurs biens, les terres brûlées les habitations bombardées, les usines pilonnées, l’eau et l’électricité coupées ? Toutes ces folies pour maintenir au pouvoir un individu qui n’est même pas capable de se gouverner lui-même ? Un Salah qui a végété une éternité au pouvoir tout aussi bien qu’un Assad, si l’on tient compte du temps que son père est y resté, valent-ils mieux que les centaines de personnes dont ils ont ordonné froidement le massacre parce qu’elles ont décidé finalement de respirer comme tout un humain l’air sain de la liberté ?

En ce qui concerne la deuxième pratique, celle de la médiation que tentent, par-ci par-là, des politiciens animés comme ils le prétendent de bonnes intentions. Elle n’en est pas moins inquiétante. Aussi semble-t-il que ce n’est plus comme on dit « l’enfer est pavé de bonnes intentions, » mais c’est plutôt ce pastiche : « le paradis est pavé de mauvaises intentions ». En effet, c’est le cas ces chefs d’État africains qui ne se sont avisés de présenter leur médiation pour réconcilier le Zaim avec son peuple qu’après un mois de massacre, quand ils ont compris que la barque de leur bailleur de fonds prend de l’eau de toute part. Et puis, quelle insolence quand ils essaient de réconcilier le bourreau avec les familles de ses victimes ! N’avaient-ils pas peur d’être taxés de criminels pour avoir cherché à défendre un tueur ? Pensaient-ils que les Libyens seraient fous de passer l’éponge sur des crimes caractérisés, de se laisser gouverner par un fou à lier ? De mêmes, les sages du pays du golfe qui présentent leur projet de médiation pour régler les problèmes du Yémen, comment prétendent-ils faire de la bonne politique (s’il y en a) quand, à leur tour, fermant les yeux sur les crimes de Ali Abdellah Saleh, comme si les personnes massacrées froidement sur les places publiques ne valaient rien, ils emploient la même imprudence ? Comble de paradoxe, le Bahreïn condamne sept insurgés pour avoir tué deux policiers. Selon cette dernière logique, combien faudra-t-il tuer de gens des régimes de Kadhafi, d’Assad et d’Abdellah Saleh ? On se fiant à ce jugement, on ne condamnerait pas moins d’une dizaine de milliers dans l’un ou l’autre régime.

Mais au-delà de toute spéculation, les peuples libyen, yéménite et syrien, ou tout autre peuple, n’ont-ils pas le droit de choisir leurs chefs ? Admettons que ces derniers aient toutes les vertus imaginables, est-ce pour autant que leurs peuples sont condamnés à les supporter ? Mettons-nous d’accord, il y a une vérité qui ne doit échapper à personne pour comprendre ce mécanisme : que tout le monde se rappelle que c’est le peuple qui crée son chef et le choisit, jamais le contraire. Si l’on accepte ce postulat, on doit admettre que c’est le peuple qui doit donner les ordres et c’est au chef d’obéir et non le contraire. Quand Abdellah Saleh nous martèle l’esprit en disant qu’il ne partirait que si on a respecté la constitution, il doit oublier ou faire semblant d’oublier que parce que c’est le peuple qui a entériné cette constitution, celui-ci se donne, sans qu’aucune force au monde ne puisse l’en dissuader, le droit de la modifier ou carrément de l’ignorer, du simple fait qu’il en est le créateur et non la créature, et, donc, quand le peuple parle, tout le monde doit se taire, tant les peuples sont éternels et immuables, quand les chefs sont toujours précaires et éphémères. Et si ces derniers sont forts, c’est dans la force du peuple qu’ils s’abreuvent.

Bouchta ESSETTE

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