Exigence

Mon libraire





Accueil > Opinions > Opinions politiques > Entretien avec le Raïs Mbarek

Entretien avec le Raïs Mbarek
3 février 2011, par Bouchta Essette

Oui, puisque je retrouve un Raïs si fidèle, j’aimerais lui formuler cette demande. J’ai la prétention qu’il m’accorde un entretien à la suite de sa deuxième allocution télévisée du 1ier février. Le privilège de s’entretenir avec un Raïs ou un Président, c’est du pareil au même, nous donnera la possibilité de clarifier certaines questions qui résistent à la compréhension des auditeurs. Certes, Votre Excellence le Raïs, votre allocution est tellement intéressante sur le plan argumentatif qu’il n’y a pas un esprit sensé qui puisse résister au charme de ses convictions. Vous formulez si bien votre pensée que vous donnez l’impression d’avoir raison, quand cependant quelques points ne semblent pas concorder avec le reste, et c’est sur ces points que j’aimerais justement vous entretenir.

M. le Raïs, vous êtes au pouvoir depuis une trentaine d’années, et l’on est vraiment surpris de vous voir prendre volontairement, en dehors de toute pression circonstancielle, la décision de vous en aller à la fin de votre actuel mandat et de ne plus vous présenter aux prochaines présidentielles, vous que les Égyptiens et même les téléspectateurs du monde entier ont pris l’habitude de voir à longueur de journée et de vous reconnaitre rien qu’à la belle couleur noire de vos cheveux. À tel point que certains jeunes hommes de la place Tienanmen, pardon de la libération se réjouissent de n’avoir vu qu’un seul président depuis leur naissance. Comment justifier cette prise de décision soudaine ? Et Le Raïs de répondre que lui qui aime son pays, il n’a jamais été tenté par le pouvoir qui du reste ne l’intéresse pas, que s’il est là depuis une petite éternité, c’est pour le Bien des Égyptiens qu’il tient à servir. Pour preuve, il a sacrifié sa jeunesse pour les forces armées, après, pour la présidence. Mais maintenant qu’il ne ressent plus d’attrait pour le pouvoir après avoir amplement accompli sa mission, il a décidé volontairement de le quitter, et non à la suite de quelques cris de révoltés qui émanent de la Place de la Rédaction . - Et moi qui pensais qu’elle s’appelait place de la Libération. - Libération, Rédaction, qu’est-ce que ça change ? Renchérit-il, du moment qu’il y a la rime.

- Je ne savais pas que le Raïs était au fait des questions de littérature et de poésie. Je croyais qu’il ne s’occupait que de la politique et des questions militaires et stratégiques qui exigent une certaine FORCE (j’y reviendrai tout à l’heure) . J’avoue que cette découverte m’a rassuré, car entre le Raïs et moi, il y a au moins un commun dénominateur, car moi-même je suis amateur des lettres et des mots et j’avoue qu’il m’arrive de tant à autre de taquiner la muse et la littérature. Sur ce chapitre, on va s’entendre.

- Permettez Votre Excellence le Raïs que j’embraie sur une question de poésie en rapport avec votre allocution télévisée et que vous semblez affectionner. La Fontaine dit dans un poème Le loup et l’agneau :

« La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Les lecteurs de ce poète considèrent ce vers comme une espèce de proverbe énonçant une vérité atemporelle. Qu’en pensez-vous en tant qu’aviateur et Raïs ? Et Mbarek de confirmer sans aucune retenue que si on n’a pas la force, on n’est rien, la force physique, précise-t-il, ou ce qui peut lui tenir lieu : l’argent. Pourquoi croyez-vous que je m’entoure d’une force de police, d’une force armée, n’est-ce pas pour faire entendre raison comme dit bien ton poète a Centaine ? - la Fontaine, voulais-je rectifier. – Son…, Fon… ce qui compte toujours pour moi, c’est la rime. - Et c’en est bien une, lui dis-je. À propos, vous dites que vous aimez les Égyptiens, et c’est leur bien qui vous intéresse, pourquoi alors les matraquer juste pour avoir imploré quelques réformes. Et le Raïs de s’enflammer en disant qu’une populace de racaille ou racaille de populace n’a pas le droit de demander des comptes à son Raïs. M’obliger, moi, à démissionner ou à réviser la constitution, en quoi cela les intéresse-t-il.? La constitution, c’est Moi, et Moi, c’est la constitution, et puis si on se mettait chaque fois à modifier cette constitution, on n’en finirait jamais. En tous les cas, j’ai ordonné la révision des articles x et y de la constitution, et de mon propre chef. Moi je suis pour la stabilité. Tout le monde doit être bien là où il est. Et que ce soit dit une fois pour toutes. Quand je suis, la stabilité est, si je pars comme le veut cette poignée de hors-la-loi, ce sera le déluge et un déluge de feu, à vous de choisir.

- Je voulais dire au Raïs ce que j’en pensais, c’est-à-dire qu’il a tort, qu’il délire, que ce n’est pas une raison de massacrer son peuple, si son peuple n’a plus besoin de ses sales services, que ces foutus services qu’il a rendus à son pays pendant la guerre contre Israël, il en a été payé et très largement aussi bien au moment de la guerre que pendant les trente années durant lesquelles il a exploité les richesses du pays, lui et les siens, et les siens des siens, sans oublier ses larbins et les chiens de ses larbins, et que par conséquent, Il n’a pas à nous intimider chaque fois avec la même antienne, car, si les autres aviateurs ou militaires, qui avaient servi à ses côtés aussi efficacement que lui, sinon mieux, se mettaient à formuler les mêmes convoitises, on en aura pour cent mille millions d’années pour les satisfaire tous.
Je voulais lui dire tout cela et bien d’autres choses, mais j’ai constaté que le déluge qu’il avait menacé de déverser sur les émeutiers n’a pas tardé à venir. En effet, juste après la fin de son allocution que l’Égypte a suivie avec intérêt, probablement non pas pour apprendre une bonne surprise, (du Raïs , on n’en a jamais eu de bonnes, sinon des boniments), cela, tout le monde le pressentait, mais pour voir de quelle bêtise encore une fois son imagination allait accoucher, à la fin donc de ce speech, comme il l’avait prévu, une infinité de mercenaires armés jusqu’aux dents qui d’un sabre, qui d’une chaîne, qui d’un chameau, qui d’un cheval de cow-boy, qui d’une bombe lacrymogène, qui de cocktail Molotov, Qui de Dieu sait quoi, pour surprendre les émeutiers dont la plupart des pacifistes armés, qui de sa fille, qui de son bébé, qui de sa guitare qui de son sandwich, et ainsi de suite. En me rappelant tout, cela, je me demande si mon entretien avec le Raïs a un sens. Car très vite je me suis demandé si je ne dois pas entretenir un personnage surréaliste sorti d’un roman noir. Tout cela, je me le dis à moi-même, en aparté.

C’est donc cela la force M. Le Raïs, autrement dit la force, c’est la violence ? Et avant qu’il n’ait pris la parole pour me faire remarquer cette rime dont il raffole, je me réjouis d’avoir été le premier à la remarquer (même si c’en est pas vraiment une). Ayant constaté que je suis en train d’entretenir un chef de gang, exactement comme peut en produire le cinéma américain, je me ravise et au lieu de deviser avec celui que je croyais un Raïs et qui s’est révélé un massacreur de son peuple, je me permets d’achever cet entretien comme je l’avais prévu en lui adressant ce que je pense de son allocution.

M. Le Raïs, votre dernier propos est tout simplement ridicule, on n’y décèle aucune argumentation qui soit digne d’être mentionnée. Un logographe vous aurait concocté un discours propre à émouvoir les opposants les plus récalcitrants. Revenir sur toutes les absurdités argumentatives que vous avez employées serait fastidieux. Car on y relèverait une vision étriquée, une compréhension réductrice de ce concept de la Force. En effet, la définition que vous en donnez est loin d’être satisfaisante, car je présume que vous vous limitez à la force de la baïonnette et de la cravache, à la vertu du pistolet et de la Kalachnikov. Si tel était le cas M. le Raïs, personne ne penserait à se révolter. Mais ne vous êtes-vous pas demandé comment et pourquoi ce peuple si chétif a décidé soudainement de sortir dans la rue ? Ne vous êtes vous pas douté que ce peuple peut avoir découvert quelque expédient qu’il puisse opposer à votre force, en d’autres termes, une force qui peut être tout sauf physique qu’il puisse opposer à la vôtre ? Un Raïs éclairé et modeste aurait dû considérer le mot force dans sa double acception : intensionnelle et extensionnelle. Si Votre Excellence, M. le Raïs, vous vous êtes donné de la peine pour percer le mystère de ce peuple, vous auriez pu comprendre que celui-ci n’est pas si faible que vous croyez. En effet s’il n’est pas flanqué d’une police surarmée, d’une armée policière, de remparts quasiment infranchissables, c’est tout simplement parce qu’il dispose d’une force spirituelle qui doit dépasser de loin la force physique sur laquelle vous comptez. Quant à un Raïs comme vous, qui avez tout l’air d’un chef de gang, ne comptant que sur la baïonnette, ne craignez-vous pas que ce gadget s’émoussant, vous n’aurez plus rien pour parer à l’imparable ? Mais je vous assure M. Le Raïs, si un esprit croit à une vérité, aucune force au monde ne peut le vaincre. Si vous aviez fait attention à ce petit détail, vous n’auriez pas raté le coche, mais parce que vous êtes élevé dans une idéologie qui table sur la violence pour régler les problèmes, (ce qui vous empêche de voir les autres comme vous vous voyez, et c’est cela qui fait qu’il n’y a rien à espérer d’un Raïs qui n’a pas de cœur et qui se présente comme un chien enragé qui, là où il va, sème le bacille autour de lui, vous ne pouvez pas comprendre.

M. Le Raïs, il y a peut-être un autre détail qui échappe encore à votre attention, car celui-ci loge dans l’esprit, et comme vous n’en avez pas, comment l’auriez-vous compris ? Il s’agit du concept de la Dignité.

Aussi aimerais-je vous poser une simple question. Y a-t-il un être qui se respecte, jouissant d’un minimum de jugeote, s’enorgueillissant de son passé de soldat qui, après avoir vu et entendu tous les Égyptiens clamer haut et fort leur aversion, leur répugnance pour un président qu’ils ne peuvent plus respirer, puisse avoir le courage de continuer à gouverner ? Seriez-vous hostile à ce concept tant usité par vos maîtres américains qu’on appelle la démocratie ? Oubliez-vous M. le Raïs qu’il y a en Égypte des sommités intellectuelles, scientifiques et politiques qui sont plus aptes que vous et qui sont capables de diriger mieux que vous ne l’avez fait pendant une trentaine d’années ?

Les erreurs que vous avez commises M. le Président dépassent l’imagination. Un adage dit (mais je présume que vous ne connaissez pas les adages, non, que vous êtes un ignorant - qui oserait dire qu’un Raïs est un ignorant ? - mais parce que les adages sont souvent populaires, et vous, vous devez avoir coupé votre cordon ombilical avec le peuple) si la parole est d’argent, le silence est d’or. Cela me rappelle le poème de La Fontaine intitulé Le Corbeau et le Renard. Et votre bêtise est exactement la même qu’a commise l’imprudent corbeau qui « ouvrant un large bec laisse tomber la proie », et vous, au lieu de vous taire, chaque fois que vous avez ouvert la bouche, vous faites des promesses qui ne riment ni (vous qui aimez la rime, je vous en gave) avec votre tempérament, ni avec votre idéologie. La conséquence, vous confirmez chez vos adversaires les opinions qu’ils ont faites de vous au point où vous devenez un personnage tout simplement impossible. Ainsi, vous auriez perdu votre combat contre ce que vous appelez racaille, par les points. Mais à cause de vos sempiternelles imprudences, vous voilà perdu par K. O. UN dernier mot, non pas pour TOI, il ne te sera d’aucune utilité, car toi tu es déjà fini depuis le 25 janvier, ce message est adressé pour les adeptes du moubarakisme : De la mesure en toute chose.

Bouchta ESSETTE

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?


©e-litterature.net