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La Tunisie. Naguère et aujourd’hui
18 janvier 2011, par Bouchta Essette

Quel politicien ou connaisseur aussi fin soit-il pouvait-il imaginer, il y a quelques mois ou quelques semaines, un changement aussi radical dans la scène politique tunisienne ? Surtout que la Tunisie passait pour un pays stable politiquement, prospère économiquement, ouvert idéologiquement sauf aux islamistes. En gros, la Tunisie était, d’après les apparences, un havre de paix, le pays le plus occidentalisé et le plus libéral du monde arabe, et donc loin d’être en butte à un bouleversement aussi brutal et aussi imprévisible.

Pourtant, tous les germes du bouleversement étaient là, en sourdine, en train de subir une gestation qui a duré plus de deux décennies. Et pour cause, Ben Ali, lors de son investiture, quand il a déposé en douce, et avec force malice un président sénile, pour, non pas servir un peuple qui avait besoin d’un serviteur
comme il se doit, mais pour mettre main basse sur les richesses du
pays qu’il devait avoir tant convoitées. Il a prodigué tellement de promesses mielleuses qu’un grand nombre de Tunisiens avides de changements et de bien-être sont tombés dans le piège qu’il leur a savamment tissé. La suite était tout simplement la mise en œuvre de son programme qui consistait à épuiser aussi rapidement que possible, en collaboration avec ses proches, ses intimes les richesses du pays, sachant pertinemment que détenir les deniers d’un pays c’est en maitriser et le fonctionnement et la pérennité. Voilà ce qui a donné au tyran Ben Ali la possibilité de se forger de solides assises à l’intérieur. Cela n’était pas suffisant. Il lui fallait trouver un moyen pour consolider encore plus son pouvoir et se prémunir contre les aléas. Cela consistait à s’assurer le soutien de l’ogre occidental sans l’apanage duquel rien ne peut être entrepris dans un pays sous développé et ce en s’assurant sinon son soutien, du moins sa neutralité. Aussi était-il prêt à endosser la livrée d’un serviteur servile et volontairement serviable : Aux Américains et aux juifs, il garantissait la livraison de tout type d’information concernant le monde arabe, et aux Français, il offrait une aide inestimable en nettoyant son pays des Islamistes qui devaient gêner aux entournures un hexagone qui n’a jamais caché son islamophobie.

Et voilà que le destin qui semble indifférent à tout ce qui se passe ici-bas va finalement « se déclarer » avec sa fatalité implacable et imparable ; quelques gouttes de carburant, un peu de courage, beaucoup de désespoir, une étincelle et le tour est joué. Ce jeune universitaire, victime de son propre holocauste aura été le catalyseur de l’inévitable. Une rébellion populaire. Si elle s’est présentée comme une manifestation spontanée, elle n’en reste pas
moins l’expression concrète d’une crise sociale et politique que le R C D au pouvoir a involontairement alimentée depuis l’accession de la Tunisie à son indépendance.
Il faut dire que cette rébellion tunisienne est riche en enseignements : d’abord elle vient confirmer des évidences, pour peu qu’on se soit départi de son avision1, ainsi que quelques adages populaires. Tels que : tout ce qui brille n’est pas or, comme ne sont pas réellement noirs les cheveux de Ben Ali (C’est un détail « insignifiant » auquel d’aucuns trouverait une signification symbolique), ou les apparences sont trompeuses, ou méfiez-vous des eaux dormantes ou tranquilles, etc. L’autre enseignement à tirer est qu’il serait sage de se départir de son ego pour pouvoir voir ce qui se passe autour de soi et ne jamais attendre le moment fatidique où voir ne servirait plus à rien. Et c’est le cas du dictateur Ben Ali qui FORCÉ de s’exprimer s’adresse au peuple comme pour faire son mea culpa en disant « j’ai compris » ; une opération de compréhension qui a mis plus de deux décennies pour se réaliser. Et voilà le comble de l’indécence pour quelqu’un qui n’a appris à voir que son image qui a fini par le tuer. Dans ce cas, Ben Ali se présente comme un écolier qui a été trop distrait de lui-même, et, n’ayant rien retenu de la leçon, dira à l’Instituteur : « Monsieur, finalement, j’ai compris ». Après quoi ? Après que la messe a été dite. Après que des victimes sont tombées ? Après que des âmes sont meurtries. Après que des dignités sont bafouées. Malheureusement pour le dictateur les dés étaient jetés et le peuple qui a pu finalement crier haut et fort son mépris pour le mépris ne pouvait, ni n’avait plus le droit de se dédire. C’est comme cela que ça se passe dans l’Histoire. Retiens, Ben Ali (tu vois tu ne mérites même pas un « vous » de respect encore moins un « il » de majesté), (et le message n’est plus adressé seulement à Ben Ali, car il n’est plus, mais à toi aussi, futur Ben Ali), quelques noms auxquels s’ajoute celui du dictateur fuyard, celui du Shah, de Aidi Amin, de Saddam, une liste dans laquelle tu te retrouveras si tu diras trop tard « j’ai compris ». Dorénavant, les peuples n’accepteront
plus que leurs chefs comprennent trop tard.

Aujourd’hui, ce qui est encore regrettable, absurde et incompréhensible tout à la fois, c’est que la scène politique tunisienne souffre la présence de ceux qui naguère ont fait le malheur des Tunisiens, à savoir les responsables politiques de l’ère dictatoriale de Ben Ali, comme si les Tunisiens n’en voulaient qu’à ce dernier et non à tout un système policier et oppresseur. Si les révoltés tunisiens devaient se contenter de ce maigre acquis en renvoyant un président dont ils supportaient mal la dictature, ils auraient entrepris une révolte quasi inutile, car les piliers de l’oppression continueront toujours à sévir dans les rouages de l’État. Et je conçois mal un seul Tunisien, qui a consenti autant de sacrifices, acceptant de brader aussi bassement le sang des siens chaudement versé et les larmes amèrement déversées. La Tunisie aura banni le dictateur, mais conservé la dictature.

Le dernier enseignement qu’on aura tiré de cette révolte spontanée et naturelle des Tunisiens, mais qui n’est en fait qu’une reproduction fidèle de ces événements qui peuvent s’inscrire dans ce fameux concept de l’éternel retour est le sort à la fois comique et tragique (pour ne pas dire tragi-comique) que l’histoire réserve à ces prévaricateurs, despotes et oppresseurs . Michèle Alliot-Marie, avec une insolente effronterie, comme les Occidentaux politiques toujours infatués d’eux-mêmes nous y ont habitués, en pleine révolte des Tunisiens, devait offrir à ben Ali des services policiers pour mater en douce la révolte, faisant ainsi fi de tous les principes humanitaires que la France a hérités de la révolution de 1789, prostituant ainsi les valeurs de la république française pour soutenir un gardien fidèle. Mais sitôt que le président n’est plus président et que la fonction de gardiennage qu’il assurait est devenue vacante, la France
fait comme si Ben Ali n’avait jamais existé, son image étant définitivement scotomisée de la conscience politique française. Que les chefs qui ont fait le choix de sous-estimer les peuples comprennent que les promesses occidentales de soutien ne valent que pour autant qu’on consent à l’asservissement. Les Tunisiens ont fait le bon choix en brisant le joug de la servitude, pourvu qu’ils fassent preuve de vigilance afin de se mettre définitivement à l’abri.



ESSETTE Bouchta



1 Avision : Le mot est employé par G. Perec dans le sens de myopie.


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