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Pourquoi je ne serai pas poète.
30 août 2010, par penvins

Le problème c’est la langue, la langue c’est LE problème, là que ça se situe bien sûr et non dans le discours qui n’est qu’impatience d’agir – impuissance certaine malgré les succès d’estime. Dans la structure, la syntaxe elle-même que se situent les forces les plus inflexibles mais aussi les tentations les plus séduisantes, prestige de savoir si bien la manier et cette sensation indéfinissable d’atteindre la beauté – Equilibre – Esthétique – Formidable jouissance – fascination disent certains – qui mène tout droit à la mort. Et pourtant il n’y a d’autre issue, d’autre chemin que de la creuser cette langue, labourer cette terre d’où nous venons, l’écorcher vive, l’ouvrir pour non pas l’ensemencer, la fertiliser de ce bon vieux sens paysan qui soudain paraît tellement indispensable, immuable - éternel – quand il n’est que servitude volontaire – paresse de l’esprit – superstition – dont les racines plongent maintenant si profond – pour les siècles des siècles – sans qu’eux-mêmes ne s’en rendent compte mais au contraire pour mettre à jour, exhumer, profaner, aller à l’encontre de toutes les sacralisations – bêtifications...

Briser les chaînes les plus lourdes, invisibles, se libérer de ces mailles corrodées par la rouille des cimetières napolitains, romains, langue ancienne et qui reste terriblement présente, trahie par les traductions multiséculaires et celle de la cité vaticane – détournement – adaptation – assimilation à la sauce virginale et la France plus que toute autre, mère de l’Eglise, culte marial excluant le père naturel, lui substituant l’Esprit-Saint – immaculée conception qui laisse le champ libre au Fils, réalise le vieux rêve oedipien.

Terre si souvent décriée pour l’importance qu’elle accorde à la naissance et à la fortune, France royale où jamais l’esprit de noblesse ne s’est éteint et qu’ils tentent de raviver en inventant une nouvelle élite quand ils ne font que cultiver ce sens du patrimoine qu’ils ont hérité de Rome :
Là qu’il faut la prendre la langue, l’empoigner, la faire jouir qu’elle en oublie ses désirs de matrone, lâche prise, se laisse aller, redonne à ses enfants le goût de se battre au lieu qu’ils s’y abandonnent, qu’elle les dévore, les phagocyte alors même qu’ils s’imaginent se l’approprier, en faire une langue nouvelle et ne font que s’y repaître goulûment, s’y vautrer avec la plus grande des impudeurs.

Dans la langue, reprenant sa structure, détricotant sa syntaxe, en déformant le squelette et non pas jouer avec les mots, s’imaginer à force d’érudition lexicologique en sucer la moelle la plus ancienne, décrire l’essence même de la nature, atteindre au divin, à l’absolue pureté de la soumission à la terre et à l’ordre du monde, l’évidence salvatrice du travail - si cela peut éclairer les chantres de la langue pacifique, désengagée, profondément terrienne, parfois catholique, parfois résolument polythéiste – antique – préchrétienne, comme si le mal – le danger – n’était pas encore plus ancien - et bien sûr de la famille et de la patrie, l’horreur la plus sournoise, la tentation la plus déculpabilisante que l’homme ne cesse de réinventer, plaisir de revenir aux toutes origines, au paradis terrestre, la plus grande des folies, la négation même de la condition humaine.

Comme eux je reste fasciné par la langue, conscience ancienne de l’importance essentielle de la poésie, et pourtant... Je sais que la littérature doit se méfier de l’essence, de celle des poètes et de celle des philosophes, leur botter le train, le cul, mettre les mains dedans, chercher une musique mais en prenant garde à l’harmonie et à l’esthétisme, corde au-dessus du vide parce que sans le style, sans la langue, l’Odyssée se perd au fil du temps, rien ne se tisse que les hommes retiennent, alors qu’il importe de rester conscient du risque d’être pris dans la toile, de n’être plus qu’un insecte englué dans la pureté du soleil.

Je prétends que les poètes sont devenus fous, Ulysse seul a vécu et sans son aventure ne resterait que le tricot de Pénélope, chrysalide magnifique, larmes qu’illumine le soleil couchant, fœtus mort-né qu’ils vont abandonner à la géométrie prétentieuse de leur mausolée, pyramide au désert que visiteront quelques archéologues et la foule bigarrée des touristes ébahis. Littérature certes, hiéroglyphes - cryptographie - hymne mystique - berceau d’illusion - mirages derrière lesquels se cachent les désirs les plus vulgaires - rien d’autre qu’un banal cocon dont les fils sèchent au soleil, le papillon ne naîtra pas, la langue n’est plus qu’un rite enchanteur entre les mains des canuts qui n’osent briser les fils de soie et du marionnettiste qui chante sa chanson.
Le problème c’est la langue, c’est elle qui enchaîne, détermine, fixe le regard sur le monde, voile et non, comme ils le croient si souvent, détient le secret. Alors rompre d’avec elle, divorcer, descendre des fleuves impassibles, l’aventure seule - le métissage - ouvre l’horizon, ou bien s’emparer d’elle sans complaisance, passer par-dessus, la faire plier - crier - qu’elle livre ce qu’elle ne veut pas livrer, qui la terrorise, n’entre pas dans sa structure mais dans la grammaire de celles qui la rendent jalouse. Dans la syntaxe plus que dans les mots, l’art de dire à qui ne veut pas entendre, là que je veux me battre, je la laisse s’exprimer pour mieux la piéger, la langue.

Et je laisse aux poètes le soin de la chérir.

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