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Mes vies - Edmund White
26 mai 2010, par Mélèze

« Aux livres « convenables » que nous lisions en classe je préférais les poèmes interdits de Rimbaud, de Verlaine et de Baudelaire, et par la suite, quand je fus plus vieux, les romans de Sade, de Genet, le Journal de Gide et le livre où il avouait son homosexualité, Si le grain ne meurt. Tout ce qui concernait Rimbaud me stupéfiait quand j’étais en internat. Il était le jeune garçon dans sa liaison avec Verlaine, son aîné de dix ans – mais aussi l’agresseur. Dans le couple, Rimbaud était « l’époux infernal » tandis que Verlaine bien que marié à sa Mathilde, (père et soutien de famille) était la « vierge folle ». Rimbaud était le mentor, l’inventeur d’une vision nouvelle de la poésie, le tyran et Verlaine le suivait, souffrant et sanglotant dans la grande tradition féminine des martyres françaises. Ni l’un ni l’autre ne semblait être gay sans réserve ; après s’être déclaré comme tels ils ne cessèrent de revenir à la convention. Verlaine renoua avec la vie conjugale et sur le tard prit de nombreuses maîtresses, et même ses vers érotiques chantaient surtout le « con », de même que Rimbaud en Abyssinie, entretenait semble-t-il à la fois des garçons et des filles, mais surtout des filles. »

Edmund White est un écrivain américain toujours vivant dont je viens de lire « Mes vies » publiée par les éditions Stock à Paris en 2005 et qui est un défenseur passionné de la cause homosexuelle. Personnellement j’avais déjà eu l’occasion de le lire à travers sa biographie de Jean Genet que j’avais trouvé passionnante, mais là dans ce passage de son autobiographie p. 195 très exactement il effectue ce que j’appellerais un hold-up sur la littérature française avec lequel je ne suis pas du tout d’accord. Je crains d’utiliser trop de mots pour exprimer une opposition tout à fait radicale. Dans ce passage il me semble que Ed. White s’approprie cet épisode de l’histoire littéraire française pour en faire une légende de la littérature homosexuelle masculine mondiale. Moi au contraire je suis frappé par le mal de Rimbaud qui conduit rapidement son génie à la stérilité et je me demande encore pourquoi ? Ce type est un véritable clochard. Il fait Paris Charleville à pied pour aller taper de l’argent à sa mère. Il se tue dans le refus du travail qui aurait rapporté le minimum nécessaire à son oeuvre.

Après le coup de revolver de Bruxelles La littérature française s’est souvent construite pour ou contre Rimbaud parce que des homosexuels ont voulu trouver dans l’écriture un équilibre. La veine homosexuelle de la littérature française est très importante. Il y a Proust, André Gide, Genet bien sûr et plus près de nous Renaud Camus. Justement à la lecture de Ed White je me disais qu’à elle toute seule c’est un continent englouti une véritable Atlandide dont peu de critiques se soucient de l’homogénéité puisque par exemple une critique aussi célèbre que contemporaine telle que celle de Pierre Jourde qui fait d’ailleurs l’objet d’un amusant commentaire dans Exigence : Littérature l’ignore complètement.

Pourquoi Pierre Jourde, dans sa revue de la littérature contemporaine ignore-t-il totalement l’œuvre homosexuelle ? Pourquoi ne commente-t-il ni Genet, ni Edmund White, ni Renaud Camus ? Pourquoi ne nous parle-t-il que de Sollers, de Angot et de Beigbeder, et de leur influence sur le Monde des livres, supplément littéraire hebdomadaire du journal le Monde ? C’est très curieux. Dans l’ensemble Pierre Jourde reproche à la littérature moderne d’être fabriquée, ce qui est vrai, mais il n’a pas un regard pour la littérature mondiale encore plus fabriquée que la littérature française (voir par exemple dans Exigence : Littérature les pages sur le Da Vinci code) et qui nous donne le modèle du marketing des livres. On dirait que Pierre Jourde se rend compte de l’énorme concurrence entre homosexualité et hétérosexualité qui divise la littérature mais que ça devient trop disproportionné à la dimension de sa critique alors il s’arrête à quelques scènes prises ça et là parmi les auteurs cités à qui il reproche de les avoir mal écrites en se gardant bien d’aborder ce continent englouti du choix de la sexualité.

Jourde dit que les romans sont fabriqués, comme si à l’intérieur de Google un malin génie capable de repérer les clics des consommateurs indiquait aux éditeurs les tendances à la mode. Or il ne s’agit pas seulement d’une tendance française mais d’une tendance mondiale. De la même façon qu’on peut relever le parcours en marketing de quelqu’un qui clique dans Google on peut suivre les goûts littéraires d’un amateur et fabriquer le livre correspondant à ses prédilections.

Est-ce que vous ne trouvez pas passionnante cet enchaînement de deux décadences celle de Rimbaud d’abord puis celle de la littérature toute entière.

Donc je fais aussi un lien entre Edmund White et la fabrication des livres. Ed. White a survécu à sa décadence grâce à l’enseignement de la littérature. C’est exactement la tête éditoriale qui a pour effet comme dit Pierre Jourde de tuer la littérature. Un critique comme Jourde s’attaque à des épouvantails tels que Sollers, Angot et Beigbeder alors qu’il a une montagne devant lui et qu’il ne la voit pas.

A quel point Ed. White devrait être considéré comme le représentant de ce qu’on peut appeler la fabrication de la littérature vous ne pouvez pas l’imaginer. D’ailleurs dans son autobiographie un passage d’environ 40 pages décrit avec passion la relation intellectuelle qui l’a uni avec Gilles Barbedette le créateur des éditions Rivages qui est mort depuis, non pas que Rivages fabriquait les livres qu’il découvrait mais parce que l’histoire d’une aventure éditoriale est un projet qui tend lui aussi, de la même façon qu’une série de clic dans Google à engendrer le livre idéal qu’il appelle de ses vœux. Etre directeur de collection c’est réussir à faire écrire un grand livre pour la collection qu’on dirige.

Ed. White enseigne la littérature. C’est là, dans l’enseignement de la littérature, sur l’institution de laquelle les sarcasmes de Rimbaud et de Genet auraient été, bien entendu innombrables, que gît la clé des processus de fabrication. On ne peut pas le reprocher à White. Il n’a pas la chance d’être rentier comme son célèbre prédécesseur anglais Oscar Wilde. White en a bavé. Ce qu’il est devenu, il l’a créé par lui-même, par sa façon de vivre, par sa combativité. Il est remarquable mais il est enseignant. Lui qui se plaint tout le temps de son complexe d’infériorité vis à vis de son père dont il dit « qu’il fut un des grands hommes d’affaire américain de l’après-guerre » il a finalement été aussi loin, aussi haut et avec une aura pas tellement inférieure bien qu’impliquant un changement de genre et de valeur considérable. Veuillez comparer avec le modèle Jean Genet et avec l’espèce de folle inspiration qui s’emparait de cet auteur en opposition avec l’incarcération. Il n’y a pas photo. Genet a traversé le ciel littéraire comme une étoile filante. Ed. White et ce dernier qui s’intéressent à la cause homosexuelle ne s’intéressent pas à la cause de la stérilité de leur propre panthéon littéraire.

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