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La bataille du rail...

Du cynisme manipulateur des médias

1er octobre 2005, par Philippe Nadouce

Kate Moss une junkie ? Ça alors !!! Chanel et la clique reprennent leurs billes ? Pas possible ?! Ben oui. Que vont penser les gens sinon ? Il y a vendre de la poudre et vendre de la poudre.

Les magazines hurlent haro sur le baudet ! « Mince, s’est-elle dit Kate, que se passe-t-il ? Le mois dernier, ils se battaient tous pour en prendre une avec moi ». Eh oui, le monde est moche et mesquin. Les princesses ne mûrissent pas toujours comme les fruits au soleil ; c’est parfois d’un coup, brutalement, qu’elles passent de l’autre côté du miroir. Regardez Mafalda... Les lecteurs « people » en quête de nouvelles perspectives de développement psychique les envient toujours, ces belles. Même dans des moments pareils. Ils ont tellement rêvé de Unes qu’ils se contenteraient même d’une chute aux enfers à la Kate. Veinarde ! L’amertume au gencives, autrement, me direz-vous, mais amertume médiatique quand même !
A Milan, des chercheurs ont analysé l’eau du Pô ; surprise encore ; des traces de cocaïne et en grande concentration ! Madrid le mois dernier s’est regardée dans les journaux, interdite ; les Espagnols seraient les plus gros consommateurs de cocaïne du monde après les Américains ! [1] Et le sport ? Ne m’en parlez pas. Et les artistes ? Ah, les artistes, ça on savait ! Et les milieux politiques ? Là, vous jouez à l’opportuniste. Et la télé ? Ceux-là sont pas à mettre dans le même sac que les artistes ? On ne sait plus, franchement ! Mais y sniffent autant ? Alors c’est partout ? A l’église, à l’école, dans l’armée, dans les stades, chez les flics, chez les mémères au fourneau, à l’usine ? La décadence serinée par les médias, on n’y coupe pas. La DE-CA-DEN-CE ? Nietzsche la dénonçait déjà ; vous pensez si on y est ! Le désenchantement est sur la place publique, sur toutes les manchettes ! Les médias sont catégoriques partout sur la planète : la vie, c’est plus comme avant.

« Holy war »

Bon. Coupons la télé, retrouvons nos facultés et écoutons un peu cette définition du dico : « l’injection dans un organisme d’un antigène microbien non virulent provoque le développement d’une défense immunitaire active face à l’infection » [2]. Parlons plutôt d’infection, voulez-vous ? D’abord quelle est-elle ? Et qu’est-ce que les microbes viennent faire ici ?

« - Comment, vous n’êtes pas au courant ? me dit l’autre jour un ami, grand reporter à la BBC. - Ben non. Vous savez, moi je ne lis que les journaux, répondis-je (je sais, je me répète). Dans les années 80, reprit-il, la CIA a activement contribué à l’essort de l’industrie de la drogue des moujahidins afghans. Des camions et des mules chargés d’armes à soviets arrivaient en Afghanistan et repartaient illico, bourrés d’opium vers des laboratoires clandestins installés sur la frontière afghano-pakistanaise. Tom Carew, un officer des S.A.S. qui travaillait avec les moujahidins et qui n’ignorait rien du trafic envoya même un rapport à la CIA qui lui répondit de « ne plus mentionner cette affaire » et « si vous découvrez quoi que ce soit qui ait un rapport avec l’opium, ignorez-le totalement » [3]. Dans son livre, « Unholy war ; Afghanistan, America and International terrorism », John Cooley déclare lui aussi : « Le Jihad afghan a contribué à la production de drogues en Afghanistan et cette production a augmenté à partir de 1998, sous le gouvernement des Talibans victorieux. Jamais autant de marijuana, d’opium, de produits dérivés et d’héroïne ne tomba dans les mains des dealers et de la population des pays occidentaux qu’à la fin des années 90. Tout ceci n’étant que la conséquence de la « holy war » de la CIA entre 1979 et 1989. »

C’est donc la CIA qui fournissait la brave Kate ? ça c’est un scoop ! L’ami en question goûta brièvement la boutade et me répondit, toujours charmant -ces Anglais ! : « De plus en plus de gens opposent leur indignation à cette ironie qui est la vôtre, à votre résignation conformiste, à votre « on le savait déjà » puant et post-moderne. Tous les services secrets, tous les gouvernements ont recours au trafic de drogue. C’est dans les procédures normales au même titre que le meurtre, le chantage et la désinformation. Les renseignements français, par exemple, l’Etat français y sont abonnés depuis toujours en Afrique. La majorité des coups de mains orchestrés par la DST, la DGSE [4] ou les réseaux de la françafrique se sont financés et se financent en partie par ce genre de trafic ».

Il regarda le tabloïd anglais qui étalait en première page la photo de Kate Moss : « Après tout, lança-t-il en plaisantant, la confusion est telle chez le lecteur... que cette Une-là, peut aussi être considérée comme un des nombreux revenus de la drogue. Votre Kate moss est un antigène non-virulent...  ». Mince. Je ne l’avais jamais vue sous cet angle. - Un antigène quoi ? - Un « vaccinus screen », si vous préférez. On appelle ça comme ça dans notre jargon. L’effet « vaccin écran » (ça pète moins en français ; je traduis mon ami), est une métaphore du processus de défense immunitaire qui trouverait un parallèle fertile dans la surrenchère et le cynisme manipulateur des médias. Kate est une demoiselle d’honneur de Lady Di, si vous voulez mon avis. C’est un scoop, une révélation apparue sans explication et qui disparaîtra sans solution emportée par l’avalanche amnésique des nouvelles... Spéctaculaire et peu coûteux à couvrir... L’ordre établi s’en sort sans la moindre égratignure... L’abjection journalistique dans toute sa splendeur ! - Et la pauvre Kate dans tout cela ? insistai-je. - Rien qu’un antigène qui provoque le développement d’une défense immunitaire active face à deux menaces issues de l’infection et qui se confondent avec elle : la vérité et la défense de la liberté ».

Un type pas très marrant, je vous l’avoue, mais entier et très documenté. En partant, il m’a donné une énigme à résoudre et j’avoue avoir séché. Vous serez peut-être plus malin que moi : « Savoir ce qu’est l’organisme en question voilà qui est facile mais cet antigène « Kate » en suivant la logique des médias, contre quel type d’infection est-il utilisé ? »


[1In El País, du 25 septembre 2005

[2Dictionnaire encyclopédique Hachette. 2001

[3In "Web of deceit" de Mark Curtis. Ed. Vintage 2003. Pages 64-65

[4Lire "La françafrique" de François-Xavier Vershave. Ed. Stock. 1999

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