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Chirac contre le fascisme

« Quel est l’homme sérieux dans le monde qui ne place pas une partie de ses biens en Suisse ? » Felix Houphouët-Boigny

22 novembre 2004, par Philippe Nadouce

Le dira-t-on enfin ce nom qui brûle toutes les lèvres ? Celles de la Françafrique tout d’abord et de tous les réseaux qui s’y alimentent ; la liste est longue ; nous y reviendrons dans un instant. Celles de la presse française ensuite qui, semble-t-il, n’arrive jamais à faire la lumière sur les agissements de la France dans son « pré carré » africain. Rappelons-nous le Biafra, le Cameroun, le Rwanda, le Liberia, le Sierra Leone, le Darfour, etc.

Un seul homme pourtant a été on ne peut plus clair ; un génie de clarté dans l’obscurité régnante, et quand on réalise qu’il s’agit du président Laurent Gbagbo, les bras nous en tombent. Au royaume des aveugles...

Pourtant, il a osé... La cellule Afrique du 14 rue de l’Elysée, au comble de l’affolement, n’en revenait pas ; il avait « osé »... Que Gbagbo tienne tête à Chirac, passe encore, mais qu’il lave son linge sale dans une interview publié dans un grand quotidien ! Pour que tout le monde la lise ! C’était aller trop loin. Le coup bas ? Cette phrase qui depuis a fait le tour de la planète (les Anglo-saxons en rient encore) : « Le président Chirac a soutenu le parti unique en Côte-d’Ivoire pendant quarante ans. Qu’est-ce qui est plus proche du parti unique que le fascisme ? [1] » L’histoire éculé de l’amant indiscret devenu insupportable... L’idée bushienne de la démocratie aurait-elle fait son petit bonhomme de chemin dans le noble pays gaulois ? A moins que George W. se soit inspiré du général, sauveur de la France ?

Mais revenons à la frayeur du moment : Gbagbo allait-il rompre le pacte, l’Omerta qui plane sur l’Afrique Offshore depuis un demi-siècle ? Refuserait-on maintenant de jouer le jeu ? La France serait-elle susceptible de perdre la face chez elle, en Afrique ? Lui régler son compte tout de suite, oui ! En attendant, il fallait officiellement calmer les esprits. « Paris s’est gardé hier de poursuivre l’escalade verbale entre Gbagbo et Chirac », pouvait-on lire sous la plume de Véronique Soulé dans « Libération », mardi 16 novembre 2004. Et pour cause !

La grande frayeur ; la mère de toutes les dérives, serait bien entendu qu’un inconscient en position de force commence à tout déballer ! Rotules et mandibules tenez-vous bien ! Les réseaux et autres lobbies qui opèrent en toute impunité en Françafrique depuis des décennies ont gros à perdre. Personne ne tient vraiment à ce que la lumière soit faite sur leur stratégie en Afrique francophone, sur leur «  système clientéliste, le patrimonialisme, mêlant intérêts publics et privés dans l’exploitation conjointe de deux rentes ; celle des matières premières, agricoles et minières, et celle de l’aide publique au développement (APD). Il fut jugé naturel que cette double captation construise là-bas des fortunes inouïes (Houphouët, Moussa Traoré, Eyadéma, Mobutu...), puisque le taux de retour en France était, lui aussi, faramineux [2] ». Les principaux intéressés, nous voulons parler des réseaux Foccart, Mitterrand et divers PS, du réseau Pasqua, de la DGSE, de la DST, des groupes Total, Bouygues, Castel, etc [3], n’avaient jamais pensé qu’un tel processus pourrait cesser d’exister un jour.

Imaginez qu’un président africain dévoile le pillage systématique auquel est soumis l’aide au développement (APD) ? Imaginez que la déclaration suivante, faite en 1993 par le diplomate Erik Orsenna, longtemps « porte-plume » de François Mitterrand, sorte de la bouche d’un personnage clé de l’échiquier africain : « Tout le monde sait que les partis politiques sont financés par des détournements de trafics via l’Afrique. L’Afrique sert à blanchir l’argent des partis politiques. C’est scandaleux, parce que, en pervertissant les élites, on fiche en l’air le développement de l’Afrique. Je maintiens que la transparence des circulations de l’argent est un minimum. Le président y est totalement et farouchement opposé » [4].

L’erreur serait de voir ici une manœuvre politique visant à ternir l’image du PS français et de François Mitterrand. Dans les sphères des affaires africaines, tout le monde sait que la politique se joue à un autre niveau. Le clivage gauche-droite est ici une fiction qui sied parfaitement au jeu démocratique de l’Etat spectacle. Mais là-haut, dans les sphères du secret-défense et de l’impunité, rien n’a le même goût. Chaque réseau fait son beurre et rapporte ses valises de billets en Suisse ou au Luxembourg. La cohabitation ne se fait pas sans heurts ou sans bavure, évidemment, mais le système a quand même réussi à survivre jusqu’à aujourd’hui. Un petit exemple de l’entente cordiale qui y régne ? Lisez plutôt cette confessions de l’ex PDG de Elf Aquitaine, Loïc le Floch-Prigent [5] : « Sous la présidence de Mitterrand, le système Elf Afrique est resté managé par André Tarallo (PDG d’Elf Gabon), en liaison avec les milieux gaullistes [...] Les deux têtes de pont étaient Jacques Chirac et Charles Pasqua. [...] Tarallo est en liaison quotidienne à l’Elysée avec Guy Penne [...] qui est le Foccart de Mitterrand ».

Les échéances électorales en France sont souvent précédées d’une augmentation des aides hors-projets aux pays « amis » d’Afrique. « Les remontées de cash irriguent tous les partis dits de gouvernement » [6] . Dans un article du quotidien Libération on a pu lire en toute lettre : « Rattaché à la présidence sénégalaise, un cadre de la banque de France informait non seulement Abdou Diouf, mais le Trésor français et même la cellule africaine de l’Elysée des principaux « porteur de valises » bourrées de CFA, qui étaient souvent dans l’orbite de l’establishment politico-économique » [7].

On comprendra mieux maintenant pourquoi la France met toute son énergie à empêcher une dérive fasciste en Côte-d’Ivoire. Cette acharnement, cette ingérence dans les affaires d’un état souverain inconscient de sa perdition voudraient être assimilés à un amour désintéressé pour la liberté et la démocratie. La Chine, décidément indécrottable, a freiné cette impétuosité émancipatrice de la France lors du dernier conseil de l’ONU...

Ce n’est que partie remise. Les intérêts de la Françafrique sont mobilisés. Leur
champ d’action est immense puisque que la machine étatique est derrière eux. L’ensemble des réseaux vont jouer leur va-tout. Il en va de la survie de tout un système ; un système déshonorant et criminel qui est aussi le plus long scandale de la République.


[1Extrait de l’entretien du président Laurent Gbagbo au journal Libération du lundi 15 novembre 2004

[2Extrait de « La Françafrique, le plus long scandale de la République » de François-XavierVerschave. Stock 1999.

[3Il faut aussi compter avec Bolloré-Rivaud, le lobby militaro-africaniste, le lobby francophone, des excroissances franc-maçonnes, etc. (In « La Françafrique » cité plus haut, page 202)

[4Interview à Télérama du 08/09/93

[5Publiée par l’Express du 12/12/1996

[6in « La Françafrique » de F.X Verschave, page 61

[7in Libération du 01/02/1994 ; « Les nouveaux blancs aux commandes de l’Afrique ».

Messages

  • Bravo !
    C’est un plaisir que de te lire.
    Que penses-tu de la Françafrique, "section Algérie" ? J’aurai bien aimé savoir ce que tu en penses.
    On parle souvent du général Larbi Belkheïr, côté algérien. Il y en a d’autres, c’est évident, mais c’est le plus en vue pour le môment, d’autant plus qu’il n’a pas quitté les hautes sphères du pouvoir plus de vingt ans durant.

    Adel

    Voir en ligne : http://membres.lycos.fr/lamcodz

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