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Pas de repos pour les kinés

Annie Nouri-Hassler

16 octobre 2004, par Xavier Lainé

Le problème reste entier. Le livre, quoique remarqué par Psychologie Magazine, n’aura sans doute pas été lu par la profession des kinésithérapeute, trop préoccupée de ses petites tricheries, de ses petites guerres intestines, et de son manque de maturité.

Ceci énoncé, le bilan accablant dressé par Annie Nouri-Hassler est justifié. C’est hélas le vécu de beaucoup de professionnels qui tiennent encore un peu à une éthique, et qui refusent de plonger dans les turpitudes d’une profession gangrenée par la notabilité libérale en vogue.

Elle dénonce fort bien l’engrenage de la rentabilisation forcée, qui confond l’être humain et la production des boites de conserves. On applaudit donc très fort à ce constat accablant, mais au combien poignant quand on a soi-même été confronté aux interdits professionnels, aux mesures de rétorsion d’administrations sclérosées, à la vindicte de ses propres confrères.

C’est un roman qu’il faudrait écrire avant que la profession ne s’éteigne, victime des coups qu’elle se sera elle-même portés.

Errements donc d’un diplôme auquel on croit, reconnu à ce qu’il paraît par un ministère de la santé publique qui a oublié depuis longtemps d’ouvrir un dictionnaire sur les mots qui composent son titre. Diplôme déprécié, vidé avant même d’être acquis par des étroitesses boutiquières. Etroitesses qui interdisent l’entrée des écoles de kiné à toute autre méthode que celles déclarées rentables par les apparatchiks d’un régime assis sur la santé publique.

Cachez donc Mme Mézières, ignorez Monsieur Feldenkrais, au feu Madame Bertherat, et la kinésithérapie montrera patte blanche devant ces messieurs les mauvais gestionnaires de caisses dont la vétusté est par ailleurs épinglée par la cour des comptes.

La rentabilité, c’est d’exclure le rapport humain, de considérer l’homme comme un objet qui doit être rendu à la rentabilité sociale, ou être définitivement rayé des listes de la santé.

Fi de la santé, fi de la prévention non codifiée. L’humain doit entrer dans le moule des codes de l’ANAES, ou mourir loin des caméras opiacées.

Entrent alors en ligne les marchands de soupe de la formation de bas étage. On fait miroiter des titres ronflants, on entraîne, pour le plus grand bonheur du portefeuille de certains formateurs, des professionnels dans des dérives qui se retournent contre eux-mêmes. Les voici livrés sans défense à des directions de relations humaines dont l’unique but est de jeter hors du troupeau les brebis galeuses qui entendent encore mettre un peu d’humanité dans leur geste soignant, à défaut de pouvoir penser à l’humanité dans un acte de prévention salutaire. Car, c’est bien connu, il vaut mieux délivrer des neuroleptiques que du bien-être, ça soigne mieux le porte-monnaie des sociétés pharmaceutiques.

Déboussolés par des formations qui n’en sont pas vraiment, mais qui sont prises en charge par les organismes officiels, voire même par la sécurité sociale, croyant acquérir des qualifications gratifiantes, le kiné qui croit encore en son métier se retrouve Grosjean comme devant, la bourse vide, contraint de se plier aux critères de productivité ou de changer de métier.

Il est regrettable que Annie Nouri-Hassler soit si seule à ouvrir la porte, avec tant d’amertume, à une information enfin juste sur ce métier que les chaînes télévisuelles encense dans des feuilletons mièvres quand elles ne la font pas passer pour la tribu des gros bras maltraitant leurs patients en regardant passer des bagnoles bien trop chères pour leurs maigres ressources.

Qui accepterait aujourd’hui de travailler pour 14,28€ brut la demi-heure ? Qui accepterait de se former quatre ans durant pour un diplôme toujours considéré comme Bac plus trois, sans garantie d’une reconnaissance minimale du niveau de formation acquis. Qui accepterait de poursuivre, patient après patient un apprentissage exigeant, nécessitant parfois de longues et coûteuses formations continues, sans prise en charge le plus souvent par les organismes compétents, et sans garantie d’une évolution des ressources reconnaissant un minimum l’effort consenti ? Qui accepterait de devoir se priver de congés par la grâce de décisions administrativo-syndicales qui bloquent les revenus à leur niveau de 1990 ?
Qui ? Les députés qui s’octroient leurs augmentations sans contrôle ? Les fonctionnaires qui se mobilisent dès la moindre rumeur de récession de leurs droits et pouvoir d’achat ? Qui ? Les plombiers, ramoneurs et autres mécaniciens qui, munis d’un CAP gagnent parfois plus en une demi-heure que le kiné consciencieux moyen ?
Faut-il s’étonner de l’hémorragie ? Faut-il être surpris de la baisse de qualité des services rendus ?

Merci, Madame Nouri-Hassler, malgrés ses fautes, votre ouvrage rempli sa fonction : dénoncer l’hypocrisie d’un système qui proclame l’impérieuse nécessité d’une bonne qualité des soins, mais qui dénie aux professionnels les moyens d’y accéder. Je souhaite vivement que cet ouvrage soit lu et suscite les débats nécessaires. Il s’agit d’une entreprise de salubrité urgente si vous ne voulez pas, vous les patients et les assurés sociaux, que toute une profession ne disparaisse lentement, minée par elle-même et par une société à la dérive.

La Burlière, Ferrage de Guilhempierre, Manosque, 1er octobre 2004

Messages

  • Je vais vite me procurer et lire cet ouvrage. Vous oubliez : Qui accepte d’aller au domicile d’un patient pour 2€ de frais de déplacement ? (Montant brut... Tout comme les 14€ 28 dont vous parlez...). Nous, les kinés qui, excusez moi, ne sommes pas encore tous dépourvus de conscience professionnelle. De plus, comme nos confrères les infirmières, nous avons à réconforter moralement les personnes handicapées, âgées, etc. Cela demande de la présence et souvent plus d’une ½ heure !!! Nous devons, pour des sommes dérisoires, prendre le WE les enfants bronchiteux chroniques ou atteints de bronchiolites. Nous avons à supporter les caprices des impayés de la SS (Sécurité Sociale, pas de méprise svp…) et des mutuelles…

    Ce n’est pas trois ans d’études mais quatre : Première année de médecine à réussir en même temps que le concours d’entrée à l’école de kiné puis trois années d’études et de stages en hôpitaux.

    Le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, et son secrétaire d’Etat à l’Assurance maladie, Xavier Bertrand, ont procédé, mercredi, à l’installation de la Haute autorité de santé*, nouvelle instance instituée par la réforme de l’assurance maladie, chargée d’évaluer les pratiques médicales, les médicaments et le "bien-fondé" des remboursements par la Sécurité sociale. Les prescriptions de kinésithérapie sont également dans le collimateur de ces braves gens… Quant aux Kinés, dès le premier janvier 2005, ils vont avoir une drôle de surprise ! Et leurs patients également… Mais cela est une autre histoire !

    René-Pierre Amselle

    (Kinésithérapeute DE et Ostéopathe DO).

    * Elle est présidée par le Pr Laurent Degos, un hématologue de 59 ans, actuellement président du conseil d’administration (CA) de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Dotée d’un budget de 50 millions d’euros, la Haute autorité est composée de huit membres : M. Degos, désigné par le président de la République, ainsi qu’un autre membre, deux membres désignés par le président du Sénat, deux par celui de l’Assemblée nationale et deux par le président du Conseil économique et social (CES).

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