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Le météorologue - O. Rolin
7 décembre 2014, par Mélèze

Seuil Paris 2014

Chère M.

Tu as voulu que je lise ce livre. J’en suis facilement venu à bout en deux ou trois nuits. Tu voulais que « j’aie les yeux en face des trous » et bien ça y est. Je sais tout. Je connais la vérité de la grande terreur la vérité de la période Iejov, la vérité des 1500 fusillés par jour de l’année 1937. Je suis descendu dans la fosse où a été tué le météorologue".
Je connais la vérité, mais comme tu le sais en science, la vérité est relative. Ce serait exagéré d’écrire, qu’elle ne sert à rien, qu’elle ne transforme rien, mais c’est quand même à peu près le cas. Il y aura quelques centaines de milliers de personnes qui liront un livre noyé dans la masse d’un contexte politique celui de la Russie où la même mécanique de l’arbitraire bureaucratique continue de ronronner".

Je pense qu’Olivier Rolin a été fortement marqué par la description des "actions de mort" décrites avec le même réalisme par Littell dans les Bienveillantes ce qui l’a conduit à descendre, lui aussi, dans la fosse. Par voie de conséquence l’exécuteur devient aussi important que la victime, exécuteur qui n’a été ni inquiété ni poursuivi. Tous les hommes politiques russes sont les successeurs de cet exécuteur. Il n’y a rien à en tirer. Je dirais même qu’Olivier Rolin rend encore plus difficile la gestion de Poutine par l’Occident à cause de la vérité qu’il nous oblige à regarder en face".
Il pense sûrement que Soljenitsyne revenu en Russie n’a pas pu aller aussi loin qu’il l’aurait voulu et que lui Rolin en a pris la suite ce en quoi il se trompe. Comme il l’écrit involontairement dans sa citation sur Sartre, il reste un sartrien, un existentialiste qui donne cette forme philosophique à sa recherche, tandis que pour d’autres la vérité est toujours relative à une dialectique".

Si on croit qu’on ne doit pas écrire dialectique marxiste parce que l’histoire est un rapport de force et que le rapport de force conduit à la mort du météorologue, on se trompe parce que dans le même temps la science ne cesse de progresser et nous oblige constamment à nous nier, à nous remettre en cause".

Olivier Rolin écrit comme si les morts avaient un poids. Il attribue à son personnage le poids qu’il s’attribue à lui-même. En somme il se considère comme indispensable. Or vraisemblablement le météorologue a été dénoncé par son propre collaborateur en second qui s’est ainsi débarrassé de lui. Personne n’est indispensable. La Russie de Staline comme la Chine de Mao réussit à trouver des successeurs quelles que soient les circonstances. Rolin tombe dans le défaut d’imaginer que de tels régimes puissent tomber du fait de leur paranoïa destructrice."

Involontairement Rolin nous livre une recherche qui est pré nucléaire. Replacée dans le contexte où elle s’est produite et pourtant avec un héros qui étudie la théorie de la relativité quand il est en prison (ici, j’ai eu une intuition que je n’ai pas sue exprimer), l’exécution des innocents et le désir de vengeance ne fonctionnent pas comme ils ont fonctionné dans la poursuite des criminels de guerre nazis. Les bourreaux et leurs descendants ont accédé à des armes nouvelles dont ils nous menacent si nous cherchons à les juger."

Nous avons affaire à une mécanique antihumaine aussi bien en Russie qu’en Chine. Ces empires ne vivent que par la guerre."
Le film de Jacques K (dialogue entre Germaine Tillon et Geneviève Anthonioz— de Gaulle) nous apporte aussi une autre piste si on repart de la déclaration de Germaine Tillon que les « Allemands devaient cacher les morts ». On peut alors regretter que l’ethnologue n’ait pas pu accompagner Rolin dans son enquête sur ces morts exécutés en 1939 dont on n’a pu retrouver la trace que soixante ans plus tard, en1999. Cet écart en effet montre que les Russes ont eu le même souci que les Allemands, qu’ils ont tellement bien masqué leur forfait qu’il a fallu un flair de chien policier pour retrouver les fosses."

Peut-être que tu n’as pas eu tort de m’offrir ce livre. J’ai adhéré à une association pour la défense de la mémoire des déportés et j’ai plus de désir qu’avant de regarder la vérité en face ce qui commence par une Shoah lanzmannienne existentialiste qui n’est plus absolue, mais bien relative à la vérité exhumée par Olivier Rolin."

Mélèze

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