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Décideurs
6 mai 2014, par penvins

Vous donnent l’illusion de décider, tout est dit. Le vote bien sûr, élections présidentielles qui déterminent les cinq années à venir pendant lesquelles vous n’aurez plus à donner votre avis, élections intermédiaires au hasard des calendriers qui vous rappelleront que les vrais décideurs, c’est vous, mais aussi : pour que vous gardiez toujours en tête ce pouvoir qu’ils prétendent vous avoir donné, ils ont inventé les sondages dont ils vous font croire qu’ils influent sur la politique de VOS dirigeants et comme si cela ne suffisait pas, que vous aviez besoin au quotidien de votre drogue, ils ont fabriqué des sortes de leurres auxquels vous vous êtes laissé prendre.

Participation, tel était le mot d’ordre, décentralisation, rapprocher le pouvoir du peuple leur prétendue obsession, mais surtout vous donner l’impression que vous étiez les vrais décideurs, qu’ils ne pouvaient rien sans vous, quand ils s’en moquaient, préférant obéir aux lois du marché sachant que ce n’est pas vous qui les sanctionnerez, mais lui, l’argent ! Et quand vous releviez la tête, ils savaient vous rappeler vos criminelles invectives contre ceux que vous aviez considérés comme leurs représentants. Vous faire honte pour que vous ne puissiez les accuser d’obéir à d’autres que vous !

Insidieusement, par nécessité au fur et à mesure que s’émoussait votre crédulité, en sont venus à étendre leur dispositif hors du champ politique, l’important n’étant pas finalement que vous ayez l’impression de diriger le pays, mais que vous sachiez bien qu’en toutes circonstances, avant de faire quoi que ce soit, on vous demanderait votre avis. Ce qui avait été une révolution, prise de pouvoir du peuple, devenait une méprisante mascarade, ils avaient remarqué que vous teniez plus à cette illusion de pouvoir qu’au pouvoir lui-même, que votre lâcheté était telle que le pouvoir au fond vous effrayait et que vous ne vous sentiez pas vraiment capable de l’exercer.

C’était devenu une drogue dure, non seulement vous ne pouviez vous en passer, mais dès que vous étiez sous son emprise, vous perdiez tout esprit critique, toute volonté, incapables même de réagir à leurs pires provocations autrement qu’en cédant à leurs désirs. Loi de la jungle, parce que eux ne perdaient pas le contrôle, bien au contraire, s’entraînaient à ne jamais céder à autre chose qu’à leur conquête du pouvoir s’efforçant de maîtriser le sadisme qui les maintenait en vie. Parce qu’ils auraient pu y succomber, se prendre les pieds dans le tapis, mais leurs propres maîtres étaient là qui veillaient à ce qu’aucun dérapage n’entrave la bonne marche de leurs affaires ! Ayant pris pour absolu garde fou la légalité, détournant sans cesse, à leur profit, la loi dont ils connaissaient les plus petits rouages, se faisant conseiller par une armée d’experts capables de leur dire jusqu’où ils pouvaient aller trop loin, à partir de quand vous auriez les moyens de contrer leurs offensives avec leurs propres armes, celles qu’ils s’étaient forgés au fil des siècles pour asseoir leur domination. Et vous aviez la satisfaction de savoir qu’en toutes occasions, on vous demanderait votre avis, quitte, pour ce qui concernait les décisions les plus importantes, à n’en tenir aucun compte.

Quel était le meilleur chanteur, quel roman méritait de recevoir le prix du journal des demoiselles, la Russie était-elle une dictature, devait-on sortir de l’euro, votez pour ou contre la limitation de vitesse sur les autoroutes, pour ou contre la naturalisation des étrangers en situation irrégulière… il y avait même des questions pour lesquelles ils connaissaient votre opinion, mais avaient besoin que vous la confirmiez pour faire passer leurs politiques inhumaines ! Ils le savaient bien, au fond, que les conditions de vie miséreuse qu’ils vous faisaient subir ne vous prédisposaient à aucune clémence. Et vous, harassés, rentrant épuisés du travail, étiez tellement heureux de voir qu’ici, devant votre télévision, on avait tellement besoin de vous que l’on avait inventé l’interactivité, que désormais rien ne se passait à votre insu, que les meilleurs ingénieurs avaient réussi à développer des techniques participatives dont ils vous faisaient bénéficier tous les soirs. Tapez un si vous préférez la cuisine au beurre, deux si vous préférez celle qui est à l’huile. Les industriels sont à votre écoute, ils tiendront compte de votre opinion. Et seulement une partie d’entre vous s’est rendu compte que le traité de Lisbonne revenait sur une décision clairement exprimée ! Un point bien entendu beaucoup moins important que de savoir quel est la plus grande chanteuse de ce siècle !

Nous aimerions savoir si la lingerie fluorescente vous choque ou vous séduit. Nous nous plierons à votre opinion pour fabriquer les petites culottes de votre choix. Et là curieusement ils tiennent compte de votre avis. Ne leur viendrait pas à l’idée d’aller contre ! Savent qu’il y va de leur intérêt, qu’après vous avoir habitué à cette sexualité agressive, vous en redemanderez, vous ne supporterez pas les pudiques petites culottes d’autrefois, les trouverez ringardes, auriez honte de vous déshabiller devant vos maris ou vos amants dans ces tenues d’un autre âge.

Un peuple de décideurs !

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