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Le silence de Dieu
4 février 2006, par Yvette Kherlakian

Je cause, tu causes à Saint Livre ouvert. Dieu se tait

Le polythéisme est exubérant : les dieux pratiquent volontiers le travestissement et quand ils s’adressent aux hommes, l’énigme, l’allusion et autres jeux de langage sont l’essentiel de leur rhétorique. Le lumineux Apollon lui-même délire à travers les transes de la Pythie : « Suis Mes paroles : prends le sommet et tu auras le milieu » lit-on dans un recueil des oracles de Delphes. Le monothéisme a mis de l’ordre dans ce foisonnement : Dieu est interdit de représentation dans l’islam comme dans le judaïsme et les trois religions monothéistes s’efforcent, contre vents et marées de l’histoire, de maintenir l’univocité de la Révélation qui les fonde. Certes le Talmud commente éperdument la Torah et la théologie chrétienne pratique l’exégèse des livres saints mais les textes fondateurs du judaïsme et du christianisme restent le noyau infracassable du message divin. C’est sans doute l’islam qui va le plus loin dans l’affirmation de l’unité intemporelle de la parole de Dieu : il y a une cohésion absolue entre Dieu qui parle, le prophète qui écoute et la langue qui recueille ; la psalmodie et le rite l’emportent alors sur le commentaire.

La piété du croyant, qu’il soit juif, chrétien, musulman, se doit d’actualiser indéfiniment l’efficience de la parole de Dieu, inspiratrice, voire complice de ses engagements. On voudrait pouvoir dire que cette complicité avec Dieu s’est toujours arrêtée à l’orée du Mal. Mais com-ment oublier que les religions, qui alignent si bien service de Dieu et service de l’homme (tu ne tueras point...) sont allées -et vont encore (Allah le Miséricordieux sévit en Iran, en Afghanis-tan, en Algérie... Au nom de la parole biblique, certains dénient aux Palestiniens le droit d’exister sur leur terre)- jusqu’à se réclamer de Dieu pour violenter l’homme dans son corps et dans son âme ? Les historiens ont fait un riche butin -attristé ou ricanant - des crimes chrétiens et si la diaspora juive a longtemps, souvent et abondamment approvisionné les bourreaux, ne sont pas effacés pour autant ces récits bibliques qui mettent une allégresse féroce -vive le Dieu des ar-mées !- à assortir la conquête de la terre promise du massacre des populations autochtones. Partout et toujours, Dieu laisse faire, pour le pire comme pour le meilleur, ceux qui prétendent parler et agir en son nom.

Aujourd’hui, la parole de Dieu n’est plus tout à fait ce qu’elle était : son contenu littéral doit affronter la critique historique selon laquelle les grands textes religieux ont un acte de naissance qui constitue une mise en garde contre crédulité superstitieuse et fanatisme ; elle ne peut s’opposer à la morale des droits de l’homme qui tente, en somme, de faire entrer dans la pratique juridique les commandements divins de justice et d’amour. Aussi, bien des responsables religieux s’accordent à refuser toute sacralisation des textes : il faut prévenir le danger d’une lecture ventriloque vite ajustée aux tiraillements de nos intérêts, aux préjugés de notre milieu et de notre époque, à la fascination d’un modèle. Voltaire a raison : si Dieu a créé l’homme à son image, les hommes le lui ont bien rendu.

Mais il ne suffit pas de rendre à l’homme ce qui lui revient dans l’exercice du Mal pour innocenter Dieu et le rétablir en toute impunité dans son omniscience et son omnipotence. Car aujourd’hui, c’est de l’abîme des charniers du XXe siècle que les croyants en appellent à Dieu, un dieu las qui semble bien renvoyer l’homme à l’homme. Proclamer l’urgence de l’éthique ne suffit pas : à s’immerger dans la pratique laborieuse des grandes et des petites vertus, le danger demeure de laisser la victime répéter le bourreau, de confondre vengeance et justice, de réduire le souvenir aux sonneries des commémorations, -c’est-à-dire de laisser l’homme s’empêtrer dans l’homme. Eros ou Agapê, l’Amour -dont on nous dit qu’il résume l’exigence éthique-, n’est affaire ni de spontanéité psychique, ni d’application besogneuse. Il faut la médiation d’un autre pour revitaliser selon l’esprit le regard de l’homme sur l’homme. Le Dieu (ou les dieux) des religions monothéistes se serait-il épuisé à jouer en vain ce rôle de médiateur ?

Reste son silence. Contre l’arrogance intellectuelle des accapareurs de vérité et la pesanteur obtuse des inconscients collectifs, l’oecuménisme du silence de Dieu pourrait être le dernière chance de rencontre entre les religions... Il ne s’agit pas de pleurer en choeur une même absence mais de se dépouiller ensemble d’une mémoire encroûtée de scories. Il n’y a pas à privilégier l’appropriation du passé par la mémoire contre la mise à distance opérée par l’histoire. La dignité du souvenir est dans la reconnaissance de ce jeu du passé entre appartenance nourricière et éloignement libérateur. Les religions sont engorgées d’un passé immobile qui les sépare : elles ont à apprendre à se souvenir. Il serait alors possible de reconnaître que le silence de Dieu est d’abord solidaire de toute révélation mais qu’il a été bien souvent parasité par une rhétorique de défense et de propagande. On se prend à rêver, avec Georges Steiner d’un monde où la glose serait interdite afin de protéger la « réelle présence » des oeuvres... Le silence comme ultime refuge de Dieu.

Oui, l’homme a besoin de s’adosser à ce silence-là pour s’arracher au ressassage névrotique du mal comme au confort illusoire de la loi et disposer son regard à la réciprocité de l’accueil et du don. Là commence la liberté de l’amour, la liberté dans l’amour. « Ecoute Israël »...

Messages

  • Je pense tout compte fait que D se tait parcequ’il n’est pas

    Penser qu’il existe entraine forcément la question pour quoi ?
    ou pour qui
    et c’est la que les ethnies commencent à se battre, miserables et prétentieuses de se croire élues .... alors qu’il y a X milliards de milliards de planètes ou des misérables sont probablemnt aussi prétentieux

    a bas les religions opium ( qui endorment ) ou intégristes (qui excitent )

    • Que Dieu existe ou n’existe pas, ni vous, ni moi ne pouvons en faire la preuve. Restent les religions comme institutions sociales, voire politiques et qui tendent en effet à instrumentaliser la spiritualité dont elles se prétendent dépositaires pour dominer les esprits et maintenir leur pouvoir.Ce qui vaut pour le Vatican comme pour le fondamentalisme-intégrisme musulman A ce propos, plutôt que les critiques de Marx ou de Engels dont les disciples ont montré ce qu’il étaient capables de faire, relisez dans Les Frères Karamazov de Dostoïesxky l’apologue du Grand Inquisiteur ...

  • Dans la religion chrétienne Jésus dit que "Dieu n’interviendra plus après lui comme il le faisait auparavant" parceque par Jésus il est donné l’esprit Saint. Le lien d’Amour qui relie les gens.
    Donc pour le chrétien la non ingérance de Dieu est un fait. Car en effet l’intervention du créateur nous priverait de nos libertés.
    Et le chrétien n’a pas donc de problème avec les complaintes des hommes qui sont contre cette nouvelle liberté.

    • J’ai grandi dans le giron de l’église catholique et j’ai été initiée à sa rhétorique de "preuves". J’ai cru que cette rhétorique m’assurait la vérité jusqu’à ce que je m’avise que le libéralisme divin , comme le libéralisme économique, fonctionnait à la façon d’un rouleau compresseur...
      Ceci dit, je respecte tout engagement religieux capable de respecter mon agnosticisme et je vous souhaite paix du coeur et de l’esprit à l’intérieur de votre foi.
      Y. Reynaud-Kherlakian

  • Plus que silence, Dieu est liberté.
    En tant qu’Etre Libre, aucune religion ne peut le contenir et encore moins le comprendre.
    Au lieu de silence, je préfère dire paix, car c’est dans la paix intérieure que l’on accéde au silence de Dieu qui est écoute de sa présence en nous.
    De sa présence en nous naît une attention profonde aux nuances qui composent le monde et l’on comprend alors que, comme le dit Victor Hugo :
    "Tout dit dans l’Infini quelque chose à quelqu’un"
    "Tout est plein d’âmes"
    Alors l’amour s’écoule comme une source intarissable...

    • Répandez-le autour de vous, cet amour dont la source vous a été révélée : nous en avons tous tellement besoin ! Pour moi, agnostique qui ne voit aucune possibilité d’aller au-delà de mon ignorance, je ne peux qu’inviter les religions -en tant qu’institutions qui s’arrogent le droit de parler et de légiférer au nom de Dieu- de faire silence, comme Dieu. Ce serait le premier moment d’un éventuel dialogue.

      Yvette Reynaud-Kherlakian

    • j’apprécie particuliérement la douce tolérance qui émane des réponses que vous faites aux commentateurs de votre texte.
      Cependant une chose m’interpelle dans vos réponses que je retrouve aussi à travers votre article c’est cette ignorance que vous semblez revendiquer, à la fois limite et justification d’une posture dites agnostique mais qui me semble t’il laisse entendre autre chose.
      Par exemple, l’entendez-vous, au sens de la "docte ignorance" d’un Nicolas de Cue ?
      Pourriez vous m’éclairer à ce sujet ? Merci.

    • Mon ignorance n’est docte qu’en tant qu’elle est consciente d’elle-même comme le veut l’ascèse socratique. Si Nicolas de Cues maintient la docte ignorance en ce qui concerne la nature de Dieu, il affirme l’existence de Dieu. Comme chez la plupart des gnostiques, l’ignorance est le prétexte -ou l’occasion - d ’une démarche spirituelle ascendante qui exige la totale participation de l’âme. Je reste, moi, rigoureusement agnostique et si je devais revendiquer un modèle , je nommerais Pascal dont la rhétorique s’arrête à une argumentation susceptible de faire passer le libertin du refus de croire au désir de croire. Pour le reste, à Dieu de jouer -si Dieu il y a. Simone Weil prolonge cette attitude en attente de Dieu .

      La douceur que vous me prêtez si aimablement vient donc de là. Il me semble que c’est à partir d’un agnosticisme ouvert que l’on peut répondre aux fanatiques d’aujourd’hui beaucoup plus dangereux que les libertins de Pascal. Dieu disparaît dans le flot des jacasseries humaines. C’est pourquoi se taire -comme Dieu- serait le premier acte d’un dialogue humain.

      Merci de votre intérêt.

      L’esprit souffle où il veut . Ne l’évitons pas !

    • La science a montré que les lois fondamentales de la physique ont la même origine mathématique. La logique est universelle.
      Pour moi tout ce qui n’est pas actuellement perceptible par la science reste du domaine de la foi. Il ne devrait pas y a avoir de contradiction mais une complémentarité car la nature a horreur du vide.
      J’ai personnellement une formation de base scientifique, j’ai eu à ma jeunesse le diplôme d’ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris mais je viens de la compléter à la cinquantaine par une maîtrise en droit des affaires tout en restant scientifique dans mes approches.
      La diffusion du savoir est , à mon avis, le meilleur bouclier contre l’ignorance destructive de l’homme.

    • Tout à fait d’accord ! C’est pourquoi aucune autorité humaine, institutionnelle ou individuelle, n’a le droit d’imposer une croyance. Le fanatisme religieux est la pire offense qui puisse être faite à Dieu.

  • Ce que nous appelons le "silence de Dieu" n’est-il rien d’autre que l’aveu de notre incapacité foncière à "imaginer" (= donner une image) de ce que nous pressentons "au-delà" de nos moyens, justement parce que nous n’en avons pas les moyens ? Silence de l’homme donc plutôt que silence de Dieu.

    Si l’on veut mettre Dieu dans sa vie, il n’y a qu’une attitude possible : la confiance inconditionnelle, sans preuve, sans justification. Les "non-croyants" ont mille fois plus de raisons de ne pas croire que les croyants de croire.

    Les religions transmettent des expériences religieuses plus ou moins affinées. Je ne pense pas qu’il existe quelque part un homme qui n’ait pas "un credo" et le terme d’agnosticisme ne signifie à mes yeux qu’une prise de position très conventionnelle. A.S.

    • Dieu c’est l’unicité des lois qui régissent notre monde ; toutes les études scientifiques le montrent.
      Préserver l’équilibre entre les hommes eux mêmes et entre les hommes et la nature c’est préserver la vie de notre espèce.
      A partir de l’expérience humaine, les philosophes ont montré par exemple que "le pouvoir ne peut être arrêté que par le pouvoir" et c’est la seule façon d’aller dans le sens de la justice qui est la base de toute vie en société . L’existence d’un contre pouvoir, même mauvais, vaut mieux que son inexistence.
      Actuellement les USA monopolisent le pouvoir ; ils commencent par anéantir les puissances émergentes du tiers monde et à leur interdire ce qu’ils se permettent eux même mais ils ne s’arrêteront pas là et c’est la prolifération des injustices et la destruction de l’équilibre universel qui conduira à la destruction de la vie actuelle (intervention de Dieu) et l’émergence d’une autre vie.

    • Ce que vous dites du choix religieux est tout à fait défendable et respectable. Je vous demande seulement le même respect pour une attitude agnostiquequi refuse le diktat des religions et des définitions d’un dieu conceptualisé mais reste ouvert à l’espérance et aux valeurs spirituelles.

      On n’est probablement jamais tout à fait en dehors des conventions, étant donné que notre intelligence et notre sensibilité se structurent à l’intérieur de multiples données culturelles. L’essentiel est de ne pas s’y engluer.
      C’est la grâce que je nous souhaite.

    • Vous faites de Dieu une approche rationaliste qui n’a que trop servi et qui ne m’intéresse guère. Par ailleurs, si le savant peut être croyant, il n’est scientifiquement crédible que si sa foi reste en dehors de sa démarche scientifique. La science et la foi ne se compénètrent pas. Elles n’interrogent pas la réalité de la même manière et opposer par exemple la thèse créationniste au darwinisme relève d’un combat archaïque et stérile.

      Par contre, ce que vous dites du monde et de l’action de l’homme dans le monde relève d’une éthique qui reste tout à fait valable, que l’on admette ou non la présence d’un dieu dans ce monde.

      Il me semble que l’esprit religieux se situe au-delà des certitudes rationnelles et des religions en tant qu’elles prétendent exprimer la vérité en dogmes définitifs. Le mal , la souffrance ne se résorbent pas commodément dans l’ordre du monde ou dans la certitude d’une parole révélée. C’est ce qu’ont vu, c’est ce que voient les mystiques. L’approche mystique, c’est l’approche du silence de Dieu.

      Merci, interlocuteur fidèle

  • Bonjour,
    Le Silence de Dieu est une réalité, un silence profond, magique. Non pas l’absence mais tout le contraire.
    Il existe vraiment et il est révélateur. C’est une expérience rare et initiatrice pour ainsi dire, car alors s’il disparait, il laisse des traces profondes qui sont comme des premiers pas dans la vie.

    JF.

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