Exigence

Mon libraire





Accueil > Critiques > Lectures politiques > La fable des abeilles

La fable des abeilles
1er novembre 2005, par Daniel Gérardin

Cercle de lecture

Cercle de lecture " L'homme est un loup pour l'homme " (Hobbes)

Philosophie

La Fable des abeilles*

(" Où les vices privés font le bien public ")

Bernard Mandeville, médecin hollandais installé à Londres, publia en 1714 un ouvrage dont la réputation peut encore faire scandale de nos jours.

L'intention de l'auteur n'était pas de " satiriser la vertu et la morale ", mais de montrer que l'amour de soi, passion impure par excellence, est à l'origine de la prospérité des nations et que cet égoïsme, loin de conduire la société au conflit, est au contraire la source d'une réciprocité des intérêts et de l'harmonie entre les êtres.

La fable des abeilles (" La ruche mécontente ou les Coquins devenus honnêtes ") montre comment une ruche dont les abeilles pratiquent tous les vices qu'ont les hommes devient prospère et heureuse : " Chaque partie étant pleine de vices, le tout cependant était un paradis ".

Par la suite, un décret de Jupiter ayant rendu les insectes vertueux, la ruche périclita, fut envahie par ses ennemis et ne dut son salut qu'en se réfugiant dans un tronc d'arbre, vivant " dans le contentement et l'honnêteté ".

La conclusion de l'allégorie, machiavélique, est que la vertu conduit une société à la ruine et le vice à la prospérité.

L'idée n'était pas nouvelle. Pierre Nicole avait soutenu, en 1675, dans son Traité de la charité et de l'amour-propre, que la satisfaction des passions pouvait rendre la société humaine harmonieuse. Il propose une réforme du monde fondée non sur la charité, mais sur la connaissance par les hommes de leurs intérêts véritables. Le commerce en particulier doit permettre aux hommes de constituer une société rationnelle et pacifique, bien qu'immorale dans son principe.

" Ainsi l'on peut dire avec vérité que pour réformer entièrement le monde, en bannir tous les vices et tous les désordres grossiers, et pour rendre les hommes heureux dès cette vie même, il ne faudrait au défaut de la charité que leur donner à tous un amour-propre éclairé qui sert à discerner les vrais intérêts, et à y tendre par les voies que la droite raison leur découvrirait ;

Quelque corrompue que toute société fût au-dedans et aux yeux de Dieu, il n'y aurait rien de mieux réglé, de plus civil et de plus juste, de plus pacifique et de plus honnête, de plus généreux ; et ce qui serait le plus admirable, c'est que, n'étant animée et remuée que par l'amour-propre, l'amour-propre n'y paraîtrait point et que étant entièrement vide de charité, on ne verrait partout que la forme et les caractères de la charité ".

Le calviniste hollandais Jurieu déclare, à la même époque, que la Providence divine se sert, à défaut de la charité, de la vanité des hommes, des riches en particulier, pour donner du travail et de la nourriture aux pauvres. …/…

2 Cette pensée nouvelle de l'utilité sociale de l'égoïsme , mise en valeur par les philosophes de la fin du 17e siècle, marque, selon Michel Terestchenko* " la rupture avec l'idéal de vertu des anciens et l'avènement d'une morale sans transcendance dont le principe régulateur est l'utilité ".

Hume insistait déjà sur les lacunes de la philosophie morale traditionnelle qui ne tenait pas compte de la nature humaine guidée avant tout par ses intérêts.

Or le but de la sagesse politique n'est pas la rédemption de l'homme, ni de faire " une nation d'anges " (Kant) ; ainsi que l'ont observé Hobbes et Spinoza, les hommes ont besoin les uns des autres et la société est fondée sur la passion fondamentale en l'homme qu'est la crainte de la mort ; la recherche de la paix et l'instinct de conservation de la vie poussent les hommes à surmonter leur égoïsme et à s'entendre pour vivre en société.

La fable des abeilles tend donc à montrer que la société ne repose pas sur la vertu, mais sur les passions et l'intérêt des hommes ; c'est l'intérêt qui doit guider et freiner les passions. L'échange et le libre jeu commercial assurent ainsi la prospérité de tous et la satisfaction des intérêts individuels ; comme l'écrit Boiguilbert, " dans le cadre des relations d'échange, les rapaces que sont les hommes sont obligés de se conduire de façon raisonnable ".

Adam Smith, dans La richesse des nations, remarque que " L'homme a presque continuellement besoin de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir s'il s'adresse à leur intérêt personnel et s'il leur persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu'il souhaite d'eux : donnez-moi ce dont j'ai besoin et vous aurez ce dont vous avez besoin vous-même ".

Cette métaphore de " la main invisible " qui équilibre les échanges et satisfait à la fois les intérêts particuliers et l'intérêt général présente en fait des limites. Smith lui-même, avant Marx, parle avec vigueur de la " ligue des maîtres " qui complotent contre la société et s'entendent entre eux aux dépens des ouvriers exploités.

Toutefois Smith ne voit pas de meilleure solution pour l'harmonie sociale que cette application des principes du libre-échange et du " laissez-faire ".

Michel Terestchenko conclut ainsi : " Ce beau principe, le bel espoir qui devait apporter la solution à toutes les républiques impossibles, s'écroule pourtant déjà sous les yeux mêmes de ceux qui l'ont inventé. La misère puante et le travail dégradant, en un mot l'aliénation de la vie, ont montré, sous la plume de Dickens ou de Marx et de Smith lui-même, la nature réelle de cette utopie machiavélienne qui a cru, avec tout le dogmatisme d'une foi perdue, aux vertus du marché : elle a fait de la société capitaliste une " fabrique du diable " ; les vices et l'égoïsme des hommes ne portent en eux aucune dialectique rédemptrice. La question demeure. "

*Michel Terestchenko, professeur agrégé de philosophie à l'Institut d'études politiques commente cette fable dans l'ouvrage " La pureté ", coll. Autrement 1993.

Messages

  • J’ai entendu trop souvent notamment dans des cercles philosophiques défendre la thèse de l’egoîsme et de l’utilitarisme créateur de bienfaits collectifs:cette idée dangereuse et suspecte,si elle était enseignée à la jeunesse,pourrait contribuer à malmener encore les sentiments généreux et altruistes qui perdurent malgré une progressive perte de valeurs morales.
    J’ai beaucoup réfléchi à la nécessité d’éduquer subtilement les jeunes enfants ,de les préparer à réagir avec altruisme dans toutes les situations concrètes ...et souhaiterais travailler sur ce thème ..Qui serait d’accord ?

    Voir en ligne : Liliane Temime

    • c’est juste l’idée de la conception " free market ", c’est lla base même de l’économie de marché ,et les divers exemple de notre monde contemporain montre c’est ce qui marche et non la vertuosité des système planifié........ !

      je tiens signaler que je ne suis pas ultra-librale mais juste quelqu’un qui croit que chacun doit assumer ses actes et ne pas vivre sur les efforts des autres.

    • si la vertu est une utopie , la vie en société n’est possible que si on croit à cette utopie .
      je suis d’accord qu’on ne peut pas baser le comportement individuel sur une hypothèse fausse à savoir l’existence d’une volonté individuelle et spontanée de vouloir aider les plus démunis et les plus pauvres , l’expérience a montré que ceci conduit au partage de la misère.
      Toutefois le cadre juridique qui organise les relations entre les individus doit orienter la recherche de l’intérêt individuel vers la consécration d’une meilleure justice sociale qui encourage l’initiative et le travail de l’homme sans pour autant que ceci se fasse en privant les plus faibles des besoins vitaux car ceci conduit à la destruction de la vie en société.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?


©e-litterature.net